21 octobre 2017 6 21 /10 /octobre /2017 15:35

Le Coran et la langue arabe

 

En même temps qu’elle devenait la langue de l’islam, la langue arabe était aussi parlée par les hypocrites, les idolâtres, les chrétiens et les juifs de Médine…

Et c’est encore le cas aujourd’hui. Parler arabe n’est pas synonyme d’être musulman. La langue arabe est d’une part une langue comme une autre : elle ne confère pas à ceux qui la parlent un statut particulier hors du fait qu’ils sont arabophones. De nos jours, les arabophones ne constituent pas un modèle de société développée, favorisé par l’emploi de leur langue. On en est loin. Parler l’arabe n’implique rien de spécial. En un mot, ‘’Arabiser’’ n’est pas un moyen de développer une société…, ni même de l’islamiser. Si s'arabiser (même de force) pouvait faire de nous des peuples avancés, alors on se demanderait pourquoi les pays arabes qui pratiquent la langue arabe comme seule et unique langue, sont loin d'être remarqués comme des modèles de progrès dans le monde. En arabisant de force, on peut tout au plus préparer le terrain au ‘’baathisme’’ bâtard, parce qu’il sera revendiqué par des gens qui ne sont même pas arabes d’origine. Aujourd'hui, arabiser reviendrait à faire dire en arabe aux gens les mêmes bêtises qu'ils disent déjà dans la langue qu'ils parlent. Ce qui compte en réalité, ce sont les hommes, le niveau de civilisation de nos sociétés. 

C’est parce qu’ils sont devenus musulmans que certains pays ont été jusqu’à sacrifier leur langue, la mettre sous la menace de disparition. Aujourd’hui encore ce ne sont pas les pays arabisés qui sont les plus musulmans. Vouloir ressembler aux Arabes? Qu'ont-ils de spécial? Ils ne maitrisent même pas leur langue. Et quand bien même ils la maitriseraient, ils savent bien qu'une langue ne vaut que ce que valent ceux qui la parlent. Les gens cherchent d'abord à parler une langue qui leur soit utile dans la vie.

A quoi cela nous servirait-il de parler l'arabe si cela ne change rien à notre état. 

Cela pour le faux souci de ''l'arabisation''. Religieusement, il y a un devoir kifâ'i pour les musulmans d'apprendre la langue arabe. Ce devoir signifie qu'il n'est pas nécessaire de parler l'arabe tous les jours et partout, mais seulement de l'étudier de façon à comprendre le Coran.

Parler berbère ou turc ou persan, français ou wolof ou indonésien n’est pas en contradiction avec le fait d’être musulman. Et cela a toujours été le cas. Nous parlons bien français, et nous sommes restés musulmans. Notre pratique des langues étrangères nous aide à mieux connaître les cultures non-musulmanes, et aussi à faire connaitre la nôtre. Il faut sortir de ce complexe auto-infligé. Nous ne comprenons pas pourquoi certains pays étrangers insistent sur le point que les pays du Maghreb ''doivent'' parler l'arabe. Pourquoi insistent-ils tant pour vouloir arabiser les Berbères? Pourquoi ne vont-ils pas demander aux Turcs, aux Iraniens ou aux Indonésiens de renoncer à leur langue pour l'arabe? 

L'islam a  été envoyé à tous les hommes. Pourtant tous les hommes ne parlaient pas l'arabe. Un message céleste, comme un message de ce monde est destiné à celui qui le comprend, pas seulement dans la langue d'origine. Or, il est certain que les Iraniens ont beaucoup mieux compris le Coran que les Arabes. juste après eux viennent les berbères qui ont produit une partie importante du patrimoine intellectuel de l'islam classique. L'Iran est aujourd'hui chiite, mais c'est aussi lui qui a fait le sunnisme. Ibn Khaldûn, le berbère, a consacré un chapitre  de sa Muqaddima à montrer que la majorité des savants de l'islam sont des Persans. akthar ahl al-'ilm fîl islam min al-'ajam.

En tout cas, la mission du Prophète (S) n’était pas d’imposer la langue arabe. Sinon ces contemporains auraient répondu en masse dès le début de la mission à cette entreprise. La diffusion de cette langue était certes une conséquence de l’adhésion des peuples à l’islam, mais il ne faut pas faire ce qui se fait bêtement de nos jours, à savoir imposer la langue arabe, ‘’l’officialiser’’ pour elle-même, comme si elle méritait réellement ce statut, alors qu’il existe une réaction négative vis-à-vis de cette ‘’politique’’.

Être musulman arabisant ou arabisé n’implique pas non plus avoir une compétence pour savoir où résident les intérêts des musulmans. Il est possible pour des musulmans de garder comme langue officielle, de droit ou de fait,  une langue autre que celle qui domine chez eux ou même de donner à leur langue d’origine le statut de ‘’langue officielle’’ . Cela ne relève pas de la sharia, mais du bon sens (commun ou pratique) qui est d’ailleurs encouragé par la même sharia.

Mais alors, quel est le statut de la langue arabe ?

C’est sûrement une question que l’on se poserait surtout dans les pays où la population n’est pas arabophone d’origine et où subsistent des ‘’minorités’’ qui se réclament de l’historicité de leur nation sur les terres qu’elles occupent. Même si elles sont minoritaires en nombre, elles sont en droit la vraie majorité.

Les peuples arabes (les arabes ‘’arabes’’, al-‘âriba, comme dit Ibn Khaldûn)), ceux de la Péninsule sont les seuls à avoir directement intérêt à ‘’défendre leur langue’’ du moins au niveau du pouvoir politique ou de l’opinion publique. Et d’ailleurs cet ‘’intérêt’’ n’est pas si intéressant que ça. Les enfants des émirs du Golfe ont tendance à faire ce qui se fait partout dans le monde : ils parlent l’anglais,  la langue des ‘’civilisés’’, de ceux qui dominent.

Nous savons qu’il existe un autre statut que celui de la majorité ou de la minorité à l’intérieur des frontières d’un pays. Les intérêts politiques, économiques, ou… tout simplement dictatoriaux, font que l’on sacrifie une langue, sous un prétexte ou un autre.

En outre, il y a une minorité et une majorité par rapport au reste du monde. Et dans ce rapport, la langue arabe fait partie des langues minoritaires. La majorité impose de facto et parfois de jure, ses règles à notre insu, sans grand moyen nous permettant d’échapper à la règle. Cette minorité ne repose pas que sur le nombre de locuteurs de la langue, mais aussi sur le développement industriel et technologique et la puissance militaire des pays. Et les pays arabes, même en comptant les pays arabisés (musta‘raba, encore Ibn Khaldûn) ne pèsent pas grand-chose dans la balance.

Les émirs arabes se voient obligés d’apprendre l’anglais pour pouvoir s’adresser à leurs enfants formés à l’école américaine. Il fut un temps où les gens du Golfe se moquaient de ‘’ces pauvres algériens, obligés de parler français.’’

On voit ainsi que la langue arabe est d’abord, comme toutes les langues, un phénomène sociologique. Il ne sert à rien de l’associer au Coran, sinon dans une perspective spécifique. La langue arabe pourrait survivre à la disparition de l’islam, si sociologiquement ses locuteurs venaient à occuper les premiers rangs de la civilisation humaine. Simple supposition, car rien n’indique la possibilité de l’avènement d’une telle situation. Il ne resterait plus aux Arabes qui ont trahi volontairement ou non, la religion du Prophète (S), qu’une langue privée de sa puissance, de l’énergie que lui a apporté le Coran. Ils seront retournés à la langue arabe en tant que langue de la Jâhiliya. La langue arabe n’est la langue du Coran qu’aux yeux des croyants, que pour eux seulement. Pour les non-croyants, c’est la langue de la Jâhiliya. C’est selon l’état. Il y a des non-musulmans qui ont appris l’arabe pour critiquer l’islam.

Par contre, le Coran pourrait survivre à la disparition de la langue arabe. La langue arabe deviendrait une langue ‘’morte’’ comme on dit, pouvant donc servir comme référent pour les spécialistes de l’islam, comme le latin sert au clergé catholique. Les croyants seront assez jaloux de la langue du Coran pour la préserver comme langue religieuse. Ils pourraient continuer à l’apprendre et à l’enseigner comme une langue spécifique de la religion, comme les chrétiens ont su garder vivante la langue latine pourtant elle réputée bien morte.

Il s’agit ici de simples hypothèses improbables.

Les arabes veulent ‘’défendre’’ leur langue comme les autres peuples ont le droit de le faire pour leurs langues respectives. Mais ils ne savent pas forcément ce que c’est que de défendre une religion, ni une langue. Pour le moment, ils menacent, mais ils n’agissent pas dans un sens qui laisse penser qu’ils ont compris l’art de défendre une langue. En faisant des discours des rois et présidents la seule ''littérature'' disponible dans leurs pays, ils ne font qu’enfoncer la langue arabe dans le bourbier où elle se trouve depuis des siècles.

Défendre le berbère n’est pas incompatible avec la défense de la langue arabe. Et cela a d’ailleurs été reconnu enfin par la loi algérienne. Ce qui est tout à son honneur. Nous sommes sortis d’une longue fausse problématique qui n’aurait pas dû avoir lieu. Nous avons voulu braver la langue française en décrétant que l’arabe est ‘’la langue nationale’’. Nous avons continué à parler français, parce que la francisation est un fait sociologique, alors que l’arabisation était un fait ‘’juridique’’, une décision sur le papier, quelque chose que la loi humaine a voulu imposer, au mépris des règles de la psychologie. On ne change pas les langues des peuples par décret. Les habitudes sont plus fortes…

Comme les Turcs, les indonésiens ou les persans, les berbères ont le droit de défendre leur langue, sans que cela implique de s’opposer à la langue arabe en tant qu’elle leur sert pour connaitre leur religion. Il n’y a donc plus de problème sur la forme, ni même sur le fond.

Encore faut-il savoir en quoi consiste défendre une langue. Pour le moment les ‘’berbéristes’’ sont comme les arabisants : ils en appellent au gouvernement et songent même à avoir le leur propre, imitant en cela l’erreur de ceux qui ‘’défendent’’ l’arabe. Comme s’il appartenait au gouvernement de promouvoir une langue. La loi de reconnaissance du berbère devrait pourtant suffire à agir, et chacun devrait normalement savoir ce que signifie agir dans ce domaine. C’est écrire, c’est parler, c’est enseigner, c’est publier, c’est produire une littérature de haut niveau dans la langue que l’on sera alors en train de défendre réellement.

Les revendications autres que linguistiques ne sont pas examinées ici, parce qu’elles relèvent de la politique et cet écrit ne se veut pas politique. Je remarque seulement que certains media font cas des demandes d’autonomie, voire d’indépendance, de régions spécifiques prétendument au nom de la revendication linguistique, en se fondant sur les déclarations de certains ambitieux, sans mentionner la position réelle des populations concernées qui se disent d’abord et avant tout algériennes, voire maghrébines.

Si ces chefs autoproclamés étaient sincères et voulaient assumer la responsabilité de leurs actes, ils auraient compris qu’en agissant ainsi, ils condamnent par avance le projet de revitaliser la langue berbère. Ils ont hâte de s’asseoir sur des trônes pourris et  bancals, quitte à causer le malheur de leur peuple et de leur pays.

A stratégiquement parler, c’est un suicide assuré. Il y a un drame qui menace…

Le travail de revivification du berbère est un travail qui doit se poursuivre sur le long terme, au cours duquel on mènera une action studieuse dans la recherche et l’enseignement. Et si l’on est ambitieux en la matière, on ne devra pas limiter l’effort à une région spécifique, mais l’envisager à l’échelle de tout l’espace territorial qui fut jadis celui des Berbères. C’est commettre un acte de trahison que de tourner le dos à cette ambition, et de lui préférer une ‘’républiquette kabyle’’ non viable.

Mais si l’arabisation devait être imposée de force, avec l’intention avouée d’éradiquer le berbère, il serait légal aux yeux de la sharia de se soulever, contre cette intention. Car cette ‘’politique’’ serait contraire au Coran, on ne peut ‘’tuer’’ une langue sous le prétexte qu’elle sera remplacée par une ‘’langue sacrée’’, pour la simple raison que cette dimension sacrée n’est pas inhérente à la langue arabe dont nous venons de dire qu’elle est une langue comme une autre, et même à notre époque, inférieure à d’autres.

Pas plus qu’on n’a pas le droit d’islamiser de force, on n’a pas le droit d’arabiser de force. Fort heureusement d’ailleurs, personne jusqu’ici n’a formulé une telle intention. Du moins à ma connaissance.

Comme en Inde et ailleurs, des milliers de langues peuvent coexister, sans que cela perturbe l’unité de la nation.

C’est parce que le problème a été mal posé en Algérie, qu’il suscite autant de réactions énervées, irritantes, tant de malentendus.

J’ai lu dans un commentaire en arabe posté sur un site : ‘’ les berbères devraient respecter cette langue pour laquelle sont morts nos martyrs’’. C’est un argument rhétorique, qui peut se réfuter, en admettant que cela fut vrai (parce que s’ils sont morts pour l’arabe, c’est, sous entendu en tant que langue du Coran), en objectant que nos martyrs qui sont aussi berbères, sont morts pour beaucoup d’autres choses dont nous avons été privées par nos gouvernants qui ne nous ont laissés que les… débats sur la langue arabe… pendant qu’ils s’en mettaient plein les poches, et qu’ils favorisaient le français tout en vociférant en arabe. Dieu ne nous a pas demandé de mourir pour la langue arabe. Les Arabes voudraient sans doute que nous mourrions pour leur langue...

Alors au lieu de nous en prendre aux ‘’berbéristes’’, prenons-nous-en d’abord aux gouvernants qui se mettent toujours au-dessus de la mêlée, toujours près à tirer les marrons du feu, parce que seul les intéresse le pouvoir.

Les gouvernants et les pauvres enturbannés qui les soutiennent en échange de quelque position sociale ont entretenu le mythe que c’est en édictant des lois que les choses évoluent dans une société. Ils nous ont même imposé il y a longtemps, les ‘’plans quinquennaux’’ aux termes desquels le pays allait voir se rapprocher de l’horizon du développement économique et social.

Or c’est en laissant le peuple s’exprimer, en confiant les affaires aux locaux que l’on peut revivifier la tension sociale nécessaire à une vraie relance.

Les algériens ont pris l’habitude de critiquer le gouvernement ‘’parce qu’il ne légifère pas assez’’ pour ‘’islamiser’’ (discours islamistes) ou pour développer le pays (discours des ‘’progressistes’’). Alors que l’Etat a pris en charge la religion (l’islam est la religion de l’Etat), inversant le sens des choses. Il a promis ‘’l’industrie industrialisante’’ qui n’a pas plus donné de résultat que les avions ‘’renifleurs de pétrole’’ auxquels avait cru Jacques Chirac.

Pour islamiser le pays, l’Etat a fait appel à l’expertise saoudienne qui a fourni des ‘’experts’’ pakistanais grassement payés, qui ont sillonné le pays pendant des années pour ‘’wahhabiser’’ le pays.  Pendant ces temps, les imams algériens étaient mis sous surveillance.

C’est alors que notre bel islam fait de tolérance et d’intelligence est devenu une machine à générer exclusivement du yajûz et lâ-yajûz, abandonnant la production de la rahma qui se faisait de plus en plus rare dans les sermons des mosquées. En même temps que la loubia et les lentilles disparaissaient de nos marchés.

La sacralité de la langue :

Le sujet de la sacralité de la langue arabe doit se situer dans un autre ordre de la pensée, dans une autre perspective transcendante, celle qui l’a transfigurée et sublimée pour ne plus dépendre de ses locuteurs primitifs, car son statut nouveau ne relève pas de la même consécration que celle des mu‘allaqât, poèmes suspendus sur les murs de la Kaaba, avant l’islam, du temps de la Jâhiliya.

La ‘’politique d’arabisation’’ aurait dû faire l’objet d’un débat national préalable, après l’indépendance. Non pas pour la rejeter, mais pour mieux la définir, et éviter de confondre ce qui relève de l’obligatoire et ce qui relève de l’accessoire. Cela nous aurait donné l’occasion de réfléchir sur les limites de cette politique, au lieu de la concevoir comme une simple riposte formelle à la francisation. On l’a imposée sans débat, comme on a été obligé de suivre sans débat, la politique de ‘’l’industrie industrialisante’’ ou celle de ‘’l’option irréversible du socialisme’’. Ce ne sont pas les hommes politiques qui décident, en dernière analyse, mais les ressorts profonds qui motivent la société. On peut affirmer qu’aussi bien la langue arabe que le berbère ont été les perdants de la politique démagogique des premières années de l’indépendance. Nous n’avions pas des dirigeants, mais des chefs de meutes.

Je fais partie de cette génération qui a été sacrifiée, et qui, au sortir de son enfance, ne rêvait pas mieux que de rendre sa place à la langue de notre religion. Mais on a préféré nous imposer une arabisation irréfléchie pour flatter les sentiments d’un peuple jaloux de sa foi, et abuser de notre inclination naturelle pour cette langue, faire de la démagogie. ‘’L’arabisation’’ a seulement été réglée sur le papier, et elle servait plus à dissimuler les intentions de nos gouvernants qu’exalter le discours divin. C’est vrai qu’après l’indépendance, personne n’aurait osé faire une objection de peur de se faire traiter d’ennemi de la langue arabe.

Du coup, on n’a pas plus arabisé que si l’on n’avait pas arabisé du tout, et on n’a rien industrialisé. Démagogie sur démagogie. Les ‘’décideurs’’ étaient des décadents qui avaient pris le pouvoir sur la base d’une asabiya, groupe d’Oujda, groupe de Tlemcen, ou je ne sais quelle autre faction. L’indépendance avait ‘’libéré’’ le pays, mais elle ne nous rendait pas plus compétents et efficaces. On retournait au point où la France nous avait trouvés en 1830.

Je ne veux pas parler du fait que c’est faire une injure à un algérien musulman parlant kabyle de lui rappeler que ‘’la langue arabe est une langue sacrée !’’, dans un débat qui est loin, bien loin de celui de la sacralité. Les algériens savent tous que la langue arabe est celle du Coran. Elle fut aussi celle de nos errements durant la décadence, et celle du salafisme massacreur d’innocents, et c’est encore la langue de nos dictateurs et de nos corrompus.

Les kabyles et les autres berbérophones sont des algériens avant tout. Ils n’ont pas besoin qu’on leur donne des cours spéciaux d’islam. Ils n’ont pas de leçon à recevoir à ce sujet. Va-t-on interdire toutes les langues du monde au prétexte que ‘’la langue arabe est une langue sacrée’’ ?

La Kabylie est la région d’Algérie où il y a le plus grand nombre de mosquées au kilomètre carré. La plupart des ministres des affaires religieuses depuis l’indépendance ont été des kabyles ; Ali Chentir et Ahmad Hamâni (Rahimahum Allah) étaient des kabyles,  Ben Badis était fier de se dire Sanhâgi. Je le dis à l’adresse des berbéristes aussi bien que des baathistes.

La ‘urûba n’est pas une notion coranique, et si je me trompe, que l’on m’apporte un argument soutenu, pas un slogan. Le poète qui avait sans doute besoin d’une rime en ba, a fait dire à Ben Badis, avec tout le respect que je dois à la mémoire de ce dernier : ‘’Nous sommes les enfants de l’arabisme !’’. Cela sonne bien, mais cela est faux ! Chacun sait que la poésie, comme l’ivresse, fait dire n’importe quoi et on pardonne beaucoup aux poètes ! Ce n’est pas gravissime ! Cela fait partie d’une strophe de min djibâlinâ

Mais un maghrébin qui dit qu’il n’est pas arabe, ne fait pas une injure aux Arabes ! Pourquoi aurait-il honte à dire qu’il est berbère ou amazigh ? Et pourquoi l’Arabe n’en aurait-il pas à se dire Arabe, alors que tant de défauts l’accablent aussi ?

Si nous bloquons sur ces sujets, c’est parce que nous avons été trop longtemps complaisants et timorés, nous avons galvaudé les sens des mots, au point que notre cerveau s’épouvante à l’idée de devoir exprimer la moindre vérité par peur de s’attirer les ennuis. Alors qu’il ne s’agit que d’une clarification nécessaire, et pas d’un appel à une quelconque haine envers qui que ce soit. Une chose peut être sacrée en elle-même, et être ignorée, violentée impitoyablement par la haine politique. Comme c’est le cas de la personne humaine qui est sacrée (et ça, c’est dans le Coran), ou de la Kaaba qui est un lieu sacré, haram, et qui a été ‘’bombardée’’ par les Omeyyades avec une catapulte (manjanîq). La chose la plus sacrée aux yeux d’Allah est la vie humaine. Et nous savons combien peu s’en rappellent.

Ce qui est sacré, c’est le croyant lui-même. Parce que c’est dans le cœur du croyant que vit le Coran. Un hadith qudsi nous informe que le cœur du croyant peut recevoir Dieu alors que ni le ciel ni la terre ne le peuvent. C’est la raison pour laquelle tuer volontairement un croyant constitue un crime impardonnable.

Les grands maitres spirituels de l’islam, en Asie ou en Afrique du nord, ou en Afrique noire sont pour la plupart des hommes et des femmes qui ne connaissaient pas l’arabe. Le maitre d’Abou al-Hassan Chadhli (éponyme de la Shâdhuliya) était un homme qui ne parlait que le berbère. Mais ces hommes demandaient qu’on leur traduise les versets coraniques et les paroles prophétiques, et ils étaient capables de le commenter des heures durant.

Il est temps de tout dire pour nous guérir de nos complexes respectifs et avancer le cœur léger.

L’arabité ou l’arabisme (en tant que concept politique), n’est pas coranique. Ils sont même anti-coraniques.

Que je sache, cela fait 14 siècles que les arabes ont été dépassés dans la connaissance de l’islam par les nouveaux peuples musulmans ; et de nos jours, ils sont loin d’être la référence absolue, et même relative, de l’islam. Il y a des savants dans toutes les terres musulmanes, al-hamdulillâh. Il y a des consciences nouvelles, parmi toutes les écoles de l’islam.

Bien sûr, la langue arabe est aussi la langue du Coran, tantôt portée par la foi intense des croyants et des croyantes, parfois soumise et abandonnée quand ces croyants sont réprimés. Ce statut ne doit pas être invoqué pour l’opposer à une autre langue. Parce qu’on confondrait les plans où se situe le débat de la sacralité, qui ne peut concerner que le Coran et le croyant, comme nous allons le voir et celui de la langue arabe qui est une langue comme une autre.

La langue des arabes d’avant l’islam a reçu avec le Coran, un apport d’énergie incroyable qui l’a transfigurée, au point qu’elle a été perçue de façon tout à fait nouvelle.

Pour comprendre, il faut s’autoriser à opposer l’argument de la prétendue sacralité de la langue arabe, à celui de l’efficacité des autres langues du monde. De nos jours, la langue anglaise est celle de la plus grande puissance économique technologique, militaire et scientifique du monde, alors que la langue arabe ne sert pas à grand-chose, sinon à exprimer des fatwas aussi mal formulées que mal inspirées. Les pays arabes sont les derniers au classement des critères de développement, de l’alphabétisation, de la production scientifique, des éditions, etc.  Enfin, derniers dans toutes les matières, y compris l’élevage des chameaux, depuis que les Australiens s’y sont mis. Sociologiquement, une langue ne vaut que ce que valent ceux qui la parlent. Le japonais, le chinois, le russe, l’espagnol, etc., sont des langues de civilisation. Alors que la langue arabe a cessé de l’être depuis longtemps.

Ces deux perspectives offrent des jugements différents sur une même langue envisagée, en tant qu’efficace ou en tant que porteuse de la foi religieuse.

Parce que, rappelons-le, le vaincu imite le vainqueur (Ibn Khaldoun) ; or le vainqueur est occidental, russe, japonais... et le vaincu est… musulman, arabe…

Mais si on considère la langue arabe en tant que langue du Coran, nous voyons que la ‘’coranicité’’ du contenu l’emporte largement sur ‘’l’arabité’’. C’est le contenu du message qui compte plus que le moyen, le medium, qui l’exprime.

Donc, quand on se situe sur le plan polémique, on n’a pas le droit de répondre à un berbère ou à un wolof : « Ta langue n’est pas sacrée, alors que la langue arabe l’est ! ». Parce que c’est une ‘’vérité’’ utilisée à des fins de tromperie, avec le sous-entendu : ‘’je parle arabe donc je suis sacré’’. On veut faire taire un adversaire, sans que cela profite vraiment à la langue arabe. On ne fait que blesser l’amour propre des gens.

On peut invoquer d’autres critères, mais s’abstenir de faire référence à la ‘‘sacralité par soi’’ qui de toute façon n’a pas d’appui dans le Coran. Si nous nous en servons, c’est pour nous conformer aux maitres de la Tradition que furent René Guénon (Abdelwâhid Yahya) et Michel (Mustafa) Valsan qui s’en sont servis. Chez eux, le terme est employé pour toutes les langues qui ont transmis un contenu traditionnel. C’est à dire pour beaucoup de langues, mais citons parmi elles, l’hébreu, le hindi, l’araméen, et toutes les langues dont Dieu s’est servi pour envoyer les 124000 prophètes qu’Il a suscités sur terre. J’ajouterai même le grec et le latin.

L’argument précédent ne signifie rien et il peut même être retourné contre celui qui l’invoque : « Le Coran est surement sacré, mais toi es-tu sûr de l’être ! » Parce qu’au fond, c’est en cela que consiste le contenu idéologique de la phrase, en filigrane, dans la bouche de son locuteur est le suivant : être associé à cette sacralité, du seul fait qu’il serait de ‘’race’’ ou de langue arabe. Sacré syllogisme de hash-shây !( roublard)

C’est un argument dont avaient voulu user les premiers arabes musulmans, qui tentaient de se donner un statut particulier fondé sur le fait que la langue du Coran était aussi la leur. Or cela n’a pas tenu !

On savait que cette langue fut aussi celle d’Abû Jahl et des milliers de païens, d’athées et d’hypocrites, avant et après l’islam. On savait aussi que Lâ farqa bayna arabiyyin wa ‘ajamiyyin illâ bil-taqwa, a dit le Prophète (S).

Pour m’expliquer quand même sur la sacralité de la langue coranique, je dirais ceci.

En abrogeant les référents de la jâhiliya, le Coran a rendu caduque ‘’la langue des arabes’’. Il lui a fait faire un saut qualitatif. Il l’a enlevée aux arabes, par sublimation, au point que même s’ils redevenaient païens, ils ne seraient plus capables de la parler comme au temps de la jâhiliya. Punition divine visant les ingrats ! Les Arabes sont condamnés à l’islam, faute de quoi ils perdraient à jamais leur langue, sans que cela nuise en quoi que ce soit à l’islam. Les croyants du monde entier la prendront en charge, parce qu’après tout, c’est à eux que s’adresse le Coran. L’islam est une religion qui est destinée aux croyants. On ne peut pas l’imposer aux autres, quoique disent les wahhabites.

Cette nouvelle langue peut être qualifiée de sacrée[1] en ce que c’est par elle que s’exprime le Coran. On connait l’anecdote : on dit que les premiers auditeurs du Coran descendaient de leur monture, par respect, en écoutant la lecture des versets coraniques. A leur insu, ils témoignaient de l’opération alchimique, de la sublimation qu’avait introduite le Coran dans leur parler jâhilien. On peut même dire que c’est une langue qui a été formatée par et pour le Coran. Le lexique coranique, l’expression coranique, la syntaxe coranique, les figures de style coraniques, sont utilisés pour rendre compte d’un signifiant d’origine divine, dont la polysémie spécifique permet de rendre possible la richesse des signifiés du message divin, richesse par laquelle le texte ‘’descendu’’ (tanzîl) produit et justifie en permanence sa qualité de révélation. Or c’est cette richesse qui permet le hifz (wa innâ lahu la-hâfizûn), la préservation du Coran jusqu’à la fin des temps, ce qui permet de protéger aussi la source sainte intarissable (al-faydh al-aqdas) de significations sans cesse renouvelées de façon à donner un sens  à la parole de Dieu, exalté soit-Il : ‘’mâ farratnâ fi-l Kitâb min shay’in ». A chaque instant le monde est conforme au Coran, parce que le Coran dégage un sens pour chaque instant du monde. Le monde est un grand Coran et le Coran est un univers en miniature. Tout est parole en acte, de Dieu, subhânahu. Le miracle du Coran ce n’est pas son ‘’éloquence’’. Erreur , on a pris pour de l’éloquence, ce qui est autre chose de plus puissant dans le Coran : sa vérité ! C’est parce que le Coran parle en vérité qu’il est aimable, qu’il pénètre les cœurs des croyants.

Quand il s’agit de l’Essence divine, nous savons que ne nous pouvons rien en dire, parce que l’esprit humain, la connaissance humaine n’y ont aucun moyen d’accès. Nous ne pouvons connaître que ce que Dieu nous a fait connaitre de Lui, à savoir les plus Beaux Noms par lesquels Il se fait connaître à nous, Ses créatures. Lâ yuhîtûn bi-shay’in min ‘ilmihi illâ bimâ shâ’a

 

[1] Le Coran n’emploie le mot ‘’sacré’’, muqaddas, que pour la Terre sainte et la vallée de Tuwâ (sourates 5 :21 ; 20 :12 ; et 79 :16 ).

Par conséquent, nous ne pouvons pas affirmer que la langue de Dieu est l’Arabe, sinon constater que le Prophète qui a reçu miraculeusement le Coran, l’a exprimé dans un parler du peuple au sein duquel il a été suscité. Le Coran est en arabe, mais il ne pouvait pas être révélé et porté par n’importe quel arabe. Dieu a éduqué, préparé et élevé spécialement un Homme (S) pour le rendre apte à en être le réceptacle. Addabanî Rabbî fa-ahsana ta’dîbî

S’il avait été descendu sur une montagne, elle se serait écroulée, pulvérisée, dit le Coran. Le Tanzîl, la descente du Coran avait besoin en contrepartie d’un réceptacle ‘’élevé’’ (khuluqin ‘adhîm) pour le recevoir. La montagne est ce qu’il y a de plus élevé spatialement sur terre. Mais entre le makân, lieu spatial, géographique, et la makâna, le rang spirituel moral et psychologique, il existe une différence qui est manifestée par le Coran : ‘’ Tu es certes d’un caractère immense !’’ (‘alâ khuluqin ‘adhîm). Sans cette élévation de rang, le Coran n’aurait pas pu trouver preneur sur terre. Ce n’est pas tout de faire ‘’descendre’’ le Coran, encore faut-il qu’il y ait au moins un homme pour le recevoir, le comprendre et le faire connaître. Et cette rencontre entre le message divin et son destinataire se fait à mi-chemin, car le Prophète s’est élevé pour pouvoir le recevoir de Dieu. C’est pourquoi, il a toujours existé au moins un croyant parfait, un représentant de Dieu sur terre, qui sert de témoin de Dieu pour et contre les hommes. C’est l’Homme Parfait, appelé prophète, messager, Imam, wali (saint)…

C’est pourquoi aussi, ‘’Seul connaît parfaitement le Coran celui à qui il a été révélé’’. Et c’est pourquoi nous avons tous besoin de passer par le Prophète qui est notre maitre à tous. La shahâda l’associe à jamais à notre profession de foi. Mais curieusement la croyance dans le Coran ne fait pas partie de la shahâda. L’explication est en que Dieu se charge de la défense du Coran, alors que le croyant doit se contenter d’obéir au Prophète(S) puis au Gens de Sa Maison. (hadith de Muslim authentique mais négligé)

Le musulman n’est pas chargé de connaître le Coran, ni même de l’interpréter. Cela ne relève pas de sa compétence. Cela n’est pas interdit bien sûr. Mais cette charge a d’abord été confiée aux Imams de la maison prophétique, qui en ont hérité du Prophète (S). Le Coran et la Famille du Prophète sont associés jusqu’à la fin des temps. Innî târikun fîkum al-thaqalayn : Kitâb Allah wa ‘itratî.

C’est pourquoi, le hadith de Muslim nous dit que le Prophète a laissé après sa mort, aux musulmans, deux choses lourdes à porter : l’une plus lourde que l’autre (peut-être le Coran, peut-être l’amour pour les ahl al-Bayt) : le Livre d’Allah et ma Famille. Tant qu’on leur obéira, nous ne nous égarerons jamais. Et cette association indéfectible des ‘’deux choses lourdes’’ sera en vigueur jusqu’à la fin des temps, pour éviter que le Coran ne devienne un jouet entre les mains de faux prophètes.

Or nous nous sommes égarés. Nous avons donc surement désobéi quelque part. Nous devons faire un effort pour retrouver le chemin, et obtenir de Dieu qu’Il nous pardonne et nous remette sur le droit chemin.

La preuve, de notre égarement, en est que nous n’avons même pas pris compte de ce hadith qui figure dans Muslim, et nous avons suivi un hadith inventé, et sans isnâd qui affirme que le Prophète aurait laissé ‘’deux choses lourdes à porter: le Livre d’Allah et ma sunna’’. En plus d’être forgé, le contenu de ce hadith est mensonger ! Le Prophète n’a pas laissé de sunna, et le sunnisme affirme que le Coran n’a été rassemblé que sous le troisième calife.

Tous les sunnites modernes reconnaissent que ce hadith n’a aucune valeur. Plus personne n’ose affirmer son authenticité. Mais les gens continuent de le mentionner parce que l’habitude survit à la science.

Alors que le hadith qui figure dans Muslim et dans d’autres recueils sunnites est délaissé parce que les ‘’savants’’ sunnites ont peur d’être traités de chiites !!! Jusqu’où peut-on aller dans l’indifférence aux enseignements du Prophète (S) ? Va-t-on abandonner un hadith sunnite authentique juste parce qu’il serait en concordance avec un hadith chiite ?

On se demande alors si ces pseudos défenseurs de la sunna, ne se soucient pas plus de préserver les erreurs que de suivre la sunna véritable.

On comprend alors pourquoi le Coran relève de la famille du Prophète et non de tous les musulmans. La Coran a été une révélation faite au Prophète par l’ange Gabriel. Et lorsque le Prophète devait le transmettre à son tour aux croyants, il devait le confier obligatoirement à des hommes sûrs et dignes de lui. ‘’Nul ne transmettra de ta part si ce n’est un homme des tiens’’ (lâ yuballighu ‘anka illâ rajulun minka). Le Coran est un dépôt sacré qui ne peut être confié qu’à des êtres purs, purifiés par Dieu, à savoir les Imams de la Maison Prophétique.

Peut-on imaginer un seul instant ce que serait devenu le Coran si Dieu n’avait pas pris l’engagement de le préserver. Nous savons combien tous les prophètes antérieurs ont été trahis, consciemment ou par faiblesse. Le Coran aurait été transformé en plusieurs versions, chacune selon quelqu’un. Chaque compagnon aurait composé son propre coran.

Il était donc impossible que le Prophète commette la grave imprudence de confier le destin du Coran à des incapables, ni même à un groupe d’hommes parmi lesquels se trouveraient des incapables.

Le Coran[1] a été révélé en langue arabe, comme un argument externe destiné aux peuples du Prophète (S) c’est-à-dire à toute l’humanité.

Mais son argument interne est plus puissant : nazzalahu ‘alâ qalbika, (2 : 97), Il l’a fait pleinement descendre sur ton cœur ! Le cœur du Prophète avait la capacité pour recevoir la parole de Dieu. Le Coran que nous lisons dans les livres imprimés est la copie du Coran qui se trouve dans le cœur du Prophète (S). C’est que la vraie langue est dans le cœur, comme l’a dit le poète dans un vers[2] souvent cité par les soufis :

ان الكلام لفي الفؤاد وانما

جعل اللسان علي الفؤاد دليلا

La parole prophétique sort directement du Cœur porteur du Coran que fut le cœur du Prophète (S). Le Coran du cœur s’est exprimé en langue arabe quand il fallait le transmettre à des arabophones. La parole est le degré où se formule et se manifeste le sens caché, encore dans le cœur et l’esprit.

Ce miracle coranique, le plus important, Dieu peut le faire avec n’importe quelle langue. Le Coran a multiplié par mille la capacité d’expression de la langue que parlait le jâhilien. Mais pas seulement la capacité de la langue arabe. Avec le Coran, Dieu a ouvert les portes de l’inspiration céleste, à tous les croyants de quelque langue maternelle qu’ils soient. L’avènement du Prophète de l’islam a correspondu au début d’un nouveau cycle de l’humanité, comme l’a dit le Prophète. Par conséquent, cet avènement a eu le même effet sur la langue persane, et sur toutes les langues parlées par les musulmans. C’est la foi qui tonifie les langues. Cela est illustré par l’exemple de la poésie persane,  – Jalâl al-Dîn Rûmî, Saadi et Hafez de Chiraz, en particulier — qui est toute animée par l’esprit du Coran. Par conséquent, on peut affirmer que c’est le croyant qui est sacré, pas sa langue. Le français, l’anglais, l’allemand et toutes les autres langues du monde, seront tôt ou tard fécondées par l’esprit du Coran, et recevront la capacité d’exprimer des pensées encore plus hautes. Quand l’esprit conçoit des choses nouvelles, il devient imaginatif et créatif.

[1] Les théologiens classiques de l’islam ont beaucoup écrit sur le kalâm, la Parole de Dieu. Ils furent d’ailleurs appelés mutakallimûn. Ils étaient divisés entre ceux pour qui la Parole de Dieu est éternelle et ceux qui pensaient que cette Parole était créée. Pour eux la parole consistait dans le Coran. A ma connaissance, ils n’expliquaient pas le fait que d’autres Livres célestes aient été révélés dans d’autres langues. Leurs positions sont toujours discutables, parce qu’elles étaient le plus souvent improvisés et destinées à ‘’défendre’’ l’islam.

[2] Certains anciens réfutaient l’argument non pas pour son contenu, mais parce qu’il aurait été prononcé par al-Akhtal, un chrétien arabe ! Pourtant, les musulmans s’appuient parfois sur des vers de la jâhiliya. Et le Prophète a dit que le vers :

alâ kullu shay’in mâ khalâ Allaha bâtilu

Wa kullu na’imin lâ mahâlata zâ’ilu,

était le vers le plus authentique qui fut jamais prononcé par la jâhiliya.

C’est donc le Coran qui a donné vie à la langue arabe. La faveur est de Dieu, yamunnûna ‘alayk an aslamû…

C’est le Coran qui est le miracle de Dieu, pas la langue arabe. (Outre le fait que tout relève de la volonté de Dieu). C’est un miracle permanent pour celui qui y prête l’oreille. Le Coran est haqq pour tout lecteur attentif, même pour celui qui le lit en traduction.

L’Evangile a été révélé en araméen ou en hébreu (on n’est pas sûr à ce sujet) à Seyyiduna ‘Isâ. L’araméen est donc sacré en tant qu’il a été le véhicule de l’Evangile. Et l’hébreu (ou l’égyptien) a été la langue de la Thora, et il est donc sacré. Pourtant l’araméen et l’hébreu ancien ont disparu. Par conséquent cette sacralité d’une langue n’en assure pas la pérennité. Mais la vérité révélée survit même lorsque la langue qui l’a apportée disparait.

Même disparus dans leur version originelle, la Tora et l’Evangile sont nommés ainsi dans le Coran. Même si les deux livres révélés n’avaient conservé qu’une seule parole de vraie, elle suffirait pour qu’ils méritent de porter les noms de Tora et d’Evangile. Car la parole divine purifie.

Dieu nous invite par là à réfléchir à notre rôle, à travailler pour conserver la sacralité du Coran, à en être dignes mais pas en tant que langue du peuple arabe. Ce n’est pas de ce souci que Dieu nous charge. Sinon nous tomberons dans le péché d’abandon du Coran : « Et le Messager dit: ‘’Seigneur, mon peuple a vraiment pris ce Coran pour une chose délaissée!’’ (ittakhadhu hâdha al-Qur’ân mahjûran, (sourate al-Furqân, 25 : verset 30)

Par conséquent, il n’est pas nécessaire de faire de la langue arabe une ‘’langue officielle’’. Comme tout ce qui est officiel, elle risquerait d’être confiée aux gouvernants, et soyons-en assurés, ces derniers feront tout pour briser son lien avec le Coran. Les gouvernants ne songeant qu’à assurer leur pouvoir. Il y a tant de choses officielles en Algérie, qui sont en désuétude. La ‘’défense’’ de la langue coranique se fait dans les cœurs des croyants. Que les gouvernants s’occupent de lutter contre le chômage et l’inflation !

Les grands métaphysiciens de la foi muhammadienne ont dégagé et développé une science nouvelle qui s’appelle le ‘ilm al-hurûf, science des lettres, que les arabes seuls n’auraient jamais pu connaître sans la révélation coranique, et ont donc prouvé par cette science que le moindre mot du Coran a été calculé sciemment et choisi en toute connaissance de cause par la science divine. Ces hommes et femmes ont travaillé à l’écart de la politique, souvent même sous la menace des politiques.

Chaque chose de ce monde correspond à un nombre ; toute chose est numérisée auprès de Dieu (wa ahsâ kulla shay’in ‘adadan), sourate 72, verset 28. Le monde a été créé à partir d’une numérisation. C’est pourquoi les lettres de l’alphabet sont classées parfois selon l’ordre de leurs valeurs numérique, le fameux abjad, inventé par un autre peuple sémite, les Phéniciens, alphabet qui a été adopté par les Grecs depuis les origines, alpha, beta, gamma, delta.

C’est ainsi que de nombreux musulmans, non-arabes pour la plupart, ont enrichi la connaissance grâce aux commentaires coraniques qu’ils ont produits, sous plusieurs approches : exotérique, grammaticale et linguistique, juridique, ésotérique, etc. Ils ont appris la langue arabe, par amour pour le Coran, même quand cette langue n’était ni officielle ni obligatoire.

Cette sacralité du Prophète (S) a été bâtie aussi par les efforts des musulmans qui ‘’réfléchissent sur le Coran (yatadabbarûn al-Qorân), qui méditent sur la création, sur les phénomènes naturels, etc.

Chaque génération apporte sa pierre à la mise en lumière du miracle coranique. Car la sacralité coranique trouve son reflet dans la sacralité du Prophète (S) qui a dit : « J’ai reçu la totalité des Paroles !! (utiytu jawâmi’ al-kilam). Il s’agit de tout le savoir imparti aux hommes, ou des Noms que Dieu a enseignés à Adam, et que les descendants de ce dernier ont oubliés.

Et cette sacralité du Prophète se confère par son intermédiaire à tous nos grands savants qui ont produit des œuvres métaphysiques ou qui ont prononcé des vers ou des paroles d’une puissance telle qu’ils parviennent par ce moyen à réveiller les consciences. Même quand ces awliyâ se sont exprimés dans leurs propres langues respectives. Ainsi la poésie persane de Jalâl al-Dîn Rûmî exerce une grande influence, de même que celle des grands poètes musulmans de langue persane, ou turque, comme Yunûs Emre. L’œuvre de Rûmî trouve un impact si puissant aux USA que dans les librairies vous pourrez trouver un rayon intitulé Rumiology. Et de nos jours, la puissance de l’argumentation en langue française de René Guénon doit son rayonnement à la vérité qu’elle porte. Toutes ces langues héritent ainsi de la sacralité du Coran dès qu’elles se mettent au service de la religion du Prophète (S) qui est la religion universelle (dîn al-fitrah). L’islam remercie ainsi ces langues en les entretenant et en les pourvoyant d’une énergie nouvelle. L’islam n’est pas un exterminateur de langues locales. Bien au contraire !

Ibn Mashish, le maitre berbère de Sidi Boumediène (R), ne parlait que berbère; pourtant il comprenait étonnamment mieux le Coran que les arabisants. De même, le cas typique de Bayazid Bastâmî qui commentait le Coran en se le faisant traduire au persan verset par verset.

Beaucoup de femmes et d’hommes de Kabylie vous réciteront de mémoire des vers du Shaykh Mohand oul-Hocine (mort en 1905) qui revigorent les âmes en peine. Tout cela découle de la sacralité du Coran qui imprègne toutes les ‘’langues’’ (organes de la parole) des grands maitres de l’islam. Ce sont les awliyâs qui sauvent les langues vernaculaires, pas les politiques, ni même les prédicateurs religieux officiels, encore moins les ambitieux ‘’séparatistes’’ qui rêvent de s’asseoir sur un petit siège ‘’démocratique’’. Les langues meurent par manque de foi, par mauvaise foi. Il est évident que de telles ambitions n’ont jamais servi à rien d’autre qu’à casser les âmes des langues, à les condamner à disparaitre, en aliénant les esprits, en leur faisant perdre les repères.

La plupart, pour ne pas dire tous, des awliyas sont aussi des poètes hautement inspirés. A leur niveau, ils expriment dans leurs langues respectives des vérités qui sont celles que le Coran a portées. Ils ont ainsi pu transférer à ces langues une part du miracle coranique. C’est grâce à leur foi puissante qu’ils reçoivent la haute inspiration du don de poésie et de l’expression en général.

Au cours du 20ème siècle, nous avons vu comment les savants occidentaux nous ont fait connaître la ‘’civilisation islamique’’. En effet seule une civilisation peut comprendre une civilisation, l’analyser, en découvrir les ressorts. Ce sont les orientalistes qui nous ont réappris à travailler sur nos manuscrits, que d’ailleurs nous n’avons pas su toujours préserver. Par conséquent, la civilisation occidentale ne nous a pas apporté seulement les bienfaits de ses progrès, elle nous a même expliqué le savoir des ‘’nos ancêtres’’, en tant que nous sommes leurs descendants génétiques.

Yamunnûn ‘alayka an aslamû…

C’est Dieu qui a fait la faveur aux arabes de s’exprimer dans leur langue et pas l’inverse. Cela va de soi, puisque, en abandonnant l’islam prophétique pour l’islam politique, les arabes ont fait un grand pas… en arrière, pour retourner à leur état primitif. C’est ainsi que Dieu punit l’ingratitude des hommes. Celui qui veut inverser les rôles doit assumer ses choix. On voit ainsi que parler de la langue arabe ‘’officielle’’ n’a rien à voir avec la langue du Coran qui ne peut être comprise que par les croyants éprouvés. C’est pour cette langue que bat mon cœur de croyant, certainement pas pour le parler arabe pratiqué de nos jours dans la Péninsule arabique, avec tout mon respect bien entendu pour la minorité de bons musulmans qui vivent là-bas aussi.

Quelle importance accorder à une ‘’arabisation’’ qui ne viserait pas ce sens et cette charge anagogique ?

Encore une fois, mon intervention dans ce débat n’était pas de ‘’confondre’’ les participants au débat, mais d’enrichir ce dernier ; d’en signaler au moins la complexité pour ne pas tomber dans les platitudes qui ont cours normalement dans les sermons de certains politiques qui s’improvisent en défenseurs de la religion.

Le Coran s’adresse aux croyants, où qu’ils se trouvent, et n’appartient pas à un groupe racial ou linguistique particulier.

Omar BENAISSA, le11 juillet 2016

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Omar BENAISSA