26 décembre 2019 4 26 /12 /décembre /2019 22:52

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En regardant sur la carte de google earth, je me suis aperçu que la ville de Massila se trouve bien dans la partie de la division du territoire appelée royaume Massyle (maghreb central) qui fut aussi le royaume sur lequel régna longtemps le roi berbère Massinissa en même temps que la partie dite Numidie.

Plus à l’ouest, exactement à la même latitude nord de 35 degrés, se trouve la ville de Tissemsilt (que le colonialisme français a eu le culot de baptiser Vialar) qui elle, sans doute, fait partie du territoire Masaesyle. Il se peut que le géographe Strabon ait mal transcrit le mot berbère thassamsilt en thamsalsit ou au contraire que les berbères aient prononcé plus tard tassemsilt ce qui était à l’origine thamselsit. Il est frappant en tout cas que ces deux villes se situent l’une et l’autre aux limites des deux entités massyle et masaesyle, telles qu’elles nous sont données par Strabon.

Tissemsilt signifie coucher de soleil, l’ouest, nous dit-on, dans le site internet de la ville algérienne actuelle du même nom[1]. On peut donc supposer que Tamsilt (Msila ou Massila[2]) signifierait lever de soleil, l’est[3]. On comprend alors que le nom même de Maghreb donné par les Arabes à notre région a été une traduction du berbère Tissemsilt, le couchant. En se reportant à Google maps, on verra que les deux villes de M’sila et celle de Tissemsilt, (peut-être à un moment historique tamsaysilt) se situent à la même latitude de 35 degrés nord, avec une différence de quelques minutes. Et plus, fort que cela, Msila est à la limite du royaume massyle et Tissemsilt se trouve tout près du Chelif qui marque la limite occidentale du royaume masaesyle, tel que défini par Strabon. Thamsilt et Thassemsilt sont deux postes frontières des deux royaumes, peut-être aussi deux anciennes capitales, de deux pays qui pourraient avoir eu respectivement pour noms Tha-Masylt (ou Tha-Mazight, la Grande Mazighie), et tha-Masaesylt (ou Tha-mzazghith) la Petite Mazighie). Massyle et Masaesyle signifient donc respectivement royaume de l'Est et royaume de l'Ouest. 

Il semble aussi que les grandes rivières (ou cours d’eau) ont servi naturellement, comme en de nombreuses régions du monde, de lignes de démarcations entre les états. Ainsi la  Moulouya a-t-elle marqué la frontière entre la dynastie des Banû Marrîn (Mérinides) qui régnèrent sur le Maroc et la dynastie des Banû Ziyyân (Zianides) qui régnèrent sur l’ouest algérien. De même le Chélif a servi de frontière entre l’état masaesyle et l’état massyle. Et dans l’antiquité, à chaque fois que la Moulouya est mentionnée, c’est la plupart du temps en tant que frontière, ligne de démarcation, entre les masaesyles et la Maurusie (Maroc). Nous n’avons finalement rien inventé.

Ces frontières semblent s’être gravées dans l’inconscient des berbères, car elles sont restées celles qui définissent les états actuels, sans qu’il y ait une loi écrite qui le stipule.

Le géographe al-Idrissi reprend la division administrative de Strabon. Son Maghreb extrême et son Maghreb central correspondent aux limites des états  masaesyle et massyle. Il est par conséquent évident à nos yeux que les ‘‘Arabes’’ n’ont fait que traduire à leur langue les noms que les berbères donnaient à leurs contrées respectives. Ayant vu que le nom de Couchant correspondait à la partie extrême de la Berbérie, ils en ont donné le nom à l’ensemble, en toute logique, puisque pour eux, tout est à l’ouest de la Très-Sainte Mecque. C’est ainsi que la Berbérie est devenue le Maghreb. Ils ont ensuite divisé le Maghreb lui-même, en Maghreb proche, Maghreb central et Maghreb extrême, pour conserver la division ancienne du territoire.

Les berbères avaient conscience d’être à un ‘‘bout du monde’’, ils étaient les atlantes… les fils d’Atlas, le rempart contre l’Océan.

Ce n’est pas la moindre des conséquences de l’indépendance que celle de nous avoir rendu notre toponymie.

Au fond, les frontières de l’Algérie actuelle sont les frontières léguées par l’histoire ancienne. Si l’on considère le Maroc comme l’héritier des seules  frontières de l’ancienne Maurusie (Maurétanie Tingitane), on devrait lui retrancher la partie orientale de sa frontière qui dépasse la limite naturelle de la Moulouya. Cette partie reviendrait à l’Algérie qui elle se diviserait en deux états, l’un s’arrêtant au Chélif, et l’autre du Chélif jusqu’à Annaba. Par contre, le Maroc pourrait ‘‘revendiquer’’ tout le territoire au sud jusqu’au Sénégal. Simple illustration pour expliquer la situation en ce temps-là. Juste pour dire que les frontières actuelles sont des frontières remontant à une époque bien antérieure à l’islamisation de la Berbérie du moins en ce qui concerne la partie nord du pays. L’État algérien est bien le successeur légitime de l’Etat de Massinissa.

 

[1] Désolé, mais je n’ai pas trouvé une source savante confirmant ce point.

[2] Dans les sources arabes ou plus anciennes,  en grec et en latin, le nom de la ville n’est pas précédé de l’article berbère th- ou de l’article arabe al-, comme les administrateurs actuels du pays le font par une décision irréfléchie et qui installent des panneaux à l’entrée e la ville avec la mention : al-masîla.  En fait la forme de Massila semble être d’origine phénicienne, car elle ne comporte pas d’article, comme Cirta qui désigne aussi une ville carthaginoise. Thamsilt a donc dû laisser la préséance à Massila. Ce toponyme de Massila se retrouve aussi dans quelques contrées au sud du Sahara, au Mali et Sénégal, ce qui laisse penser qu’il pourrait s’agir d’une dénomination sanhaja,  appelée aussi Zanaga, et qui est à l’origine du nom de Sénégal.

[3] Si pour Ibn Khaldûn, le Maghreb commence par le méridien de Bougie, il va de soi que Msila serait à l’est de ce Maghreb.

 

 

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère