4 février 2021 4 04 /02 /février /2021 17:45

Deux transmetteurs méconnus de l’enseignement akbarien:

Hasan b. Hamza b. Muhammad Shîrâzî (m. circa 698/1298)

et son maître le Shaykh Muhammad b. Siddîq al-Kojojî (m. circa 677/1278)

 

Première partie :

Hasan b. Hamza b. Muhammad Shîrâzî:                

 

Egalement connu sous le pseudonyme ou peut-être la nisba (ethnique) de al-Sharaf al-Palâsî (palâs, en persan, vêtement rapiécé, mais aussi nom propre de personne[1]). Le surnom al-Sharaf est la contraction fréquente en arabe de Sharaf al-Dîn, comme al-Qutb vient pour Qutb al-Dîn et al-Fakhr pour Fakhr al-Dîn, etc...  Ce Sharaf al-Dîn Shîrâzî pourrait être, disons-le tout de suite, - même si cette supposition ne nous est venue à l’esprit qu’à la fin de notre enquête -, le même Sharaf al-Dîn al-Mawsilî qui est mentionné dans le Nafahât al-uns de Jâmî, dans la notice sur Rûmî[2], suivant une relation de Jandî, et qui faisait partie de l’entourage direct de Qûnawî. Comme nous allons le voir, il a en effet passé suffisamment d’années à Mossoul pour mériter la nisba de Mawsilî, même si les sources ultérieures ne nous le font connaître que sous la nisba de Palâsî-Shîrâzî. Si à l’époque des faits rapportés par Jandî, ce Sharaf al-Dîn n’était encore qu’un débutant dans la voie bien qu’ayant entre trente et quarante ans, on peut supposer qu’au moment où Jandî écrivait, il s’était fait un nom et acquis quelque renommée, ce qui lui a valu d’être cité dans la relation en question.

 

Nous sommes tombés incidemment sur cet auteur qui semble être un maillon important dans la chaîne de transmission de la doctrine akbarienne en terre iranienne. Le Dr Sâlah al-Oudhaima, résidant à Paris, a édité et publié à ses frais en 1986 (1306 h.) deux épîtres de ce transmetteur que nous ne connaissions pas et dont les sources que nous avions jusqu'alors consultées ne mentionnaient pas le nom, ou encore ne donnaient pas suffisamment d'informations quant à son rôle dans la transmission de la doctrine akbarienne pour nous y arrêter.

 

Les deux épîtres en langue arabe réunies par l’éditeur sous le titre déroutant de risâlatân fî al-hikma al-muta'âliya wa'l-fikr al-rûhî (Deux épîtres sur la haute philosophie et la pensée spirituelle?) sont:

 1) Tuhfat al-rawh wa l-uns fî ma'rifat al-rûh wa l-nafs, (L’offrande du parfum et de l’intimité dans la connaissance de l’âme et de l’esprit) dont le manuscrit se trouve à la Bibliothèque Zâhiriyya à Damas, dans le recueil numéro 5435. Il pourrait s'agir sous un même titre de la tuhfat al-abrâr fî bayân kashf al-asrâr que signale Bagdatli dans son Hadiyyat ul-'ârifîn[3].

2) Risâlat al-adhkâr al-mûsila ilâ hadrat nûr l-al-anwâr, ( épître des litanies qui font parvenir à la présence de la Lumière des lumières[4]) qui fait partie du recueil de manuscrits arabes numéro 3175/ folio. 26,  de la B.N. de Paris établi par de Slane. Cette épître n'est malheureusement pas complète. Seule la muqaddima a donc été publiée. Manquent les développements (anwâr) ainsi que la conclusion comprenant les secrets (asrâr) annoncés.

Ces deux épîtres sont très courtes; dans l'édition parisienne, la première va de la page 47 à la page 81 soit 34 pages, et la deuxième de la page 85 à la page 99, soit 14 pages.

 

Dans la première épître, Palâsî-Shîrâzî nous apprend[5] qu’il a accompli le pèlerinage à la Mecque en l’an 683/1284, et qu’il est retourné à Damas avec la caravane des pèlerins de Syrie, caravane que dirigeait ‘Izz al-Dîn Ibn ‘Izz al-Dîn al-Kurdî. Là, il s’est installé dans le jebel Qâsyûn[6], dans une grotte appelée Ibn al-Shallâm (que l’éditeur pense être Ibn Shallâh, plus utilisé), pour une retraite dont il ne précise pas la durée, mais où il s’abstenait de boire et de manger, se concentrant sur le nom suprême qui est, nous dit-il, Allâh. Puis il nous explique en parfait akbarien que ce nom est bien le nom suprême de Dieu, « car il est celui qui désigne (dalîl) l’Essence rassemblant tous les attributs (sifât) divins, au point que rien ne lui échappe (hattà lâ yashudhdha minhâ shay'). Quant à tous les autres noms, pris au singulier, ils ne signifient rien d’autre que la singularité des significations respectives. Il est donc (le nom Allâh) Son nom le plus spécifique, car personne ne l’applique à une autre chose que Lui, ni au sens propre ni au figuré. Pour cette raison tous les autres noms sont qualifiés de noms divins et sont connus en relation avec lui ».

Cette indication nous met déjà devant un transmetteur inconnu de nos sources les plus généralement utilisées de l’enseignement akbarien parmi les plus anciennes. D’autre part, la date de 683 de l’hégire, nous permet de penser que ces deux œuvres sont des œuvres de maturité, écrites vraisemblablement durant les dix dernières années de sa vie.

 

Dans la deuxième épître[7], al-Palâsî nous relate un événement qui lui survint à l’époque où il se trouvait à Mossoul. Un importun lui demanda avec ironie: « quelle  est ta confession (mazhab)? ». Al-Palâsî lui répondit par ces deux vers:

1-  O toi qui m’interroges au sujet de ma religion

    A Dieu ne plaise! Entre toi et moi, il y a un obstacle et une citadelle

2-  Si tu m’ignores, sache que je suis l’être unique

    qui jamais ne suit, et n’est jamais suivi.

Il s’en suit immédiatement une bagarre; l’importun prononce le takfîr (anathème) de Palâsî, et ce dernier connaît des vicissitudes qu’il ne veut pas détailler, car dit-il ce n’en était pas le lieu. En tout cas, ajoute-t-il, « Je leur ai répondu grosso modo: « Ecoutez-moi, afin que toute contestation cesse de votre part. Sachez que Dieu est unique à être (infarada bil-wujûd) au point que l’on ne peut dire de Lui qu’Il suit (tâbi') ni qu'Il est suivi (matbû'), car Il est seul (fard) dans l’Etre, et plutôt Il est l’Etre même ('ayn al-wujûd). Et ce qui n’est pas l’Etre est le néant pur, il ne suit rien et n’est suivi de rien. Ainsi l’homme est le seul néant (infarada bil-'adam) quand il retourne à son origine. Le néant est son attribut (wasfuhu) réalisé de toute éternité. Comme dit Dieu: « S’est-il écoulé pour l’homme un laps de temps durant lequel il n’était même pas une chose mentionnable? » (Coran 76:1)

Et Il dit à Zacharie: « Et Je t’ai créé auparavant alors que tu n’étais rien (litt. pas une chose) » (Coran, 19:9), c’est-à-dire que tu n’existais pas, car le (mot) chose est un nom qui s’applique à ce qui est (al-mawjûd). Et ce qui n’existe pas du tout est un néant (ma'dûm) de fait. Et ce qui est ma'dûm ne suit pas ce qui est, et n’est pas suivi par ce qui est. Ils (mes contestataires) ont alors admis l’évidence, demandé pardon et remercié par quelque bien de ce monde ».

On peut se demander si ces explications n’étaient pas plus graves que la faute qui est reprochée. On voit mal comment des gens du commun pourraient admettre que Dieu soit seul à être.

Mais reprenons les deux épîtres afin d’en dégager le contenu qui nous intéresse. Mais notons auparavant que l’éditeur nous informe aussi dans son introduction, de l’existence d’un autre ouvrage de Palâsî-Shîrâzî, - publié ou manuscrit, on ne comprend pas exactement, - ouvrage intitulé al-Tanbîh, l’avertissement, que nous n’avons pas consulté et dont nous n’avons pas retrouvé trace, bien que l’éditeur en cite des extraits sans préciser sa source.

 

 Première épître; Tuhfat al-rawh wa l-uns fî ma'rifat al-rûh wa l-nafs  (La parure du parfum et de la familiarité pour la connaissance de l’esprit et de l’âme)

 

Le texte commence à la page 47 du livre imprimé. Dans l’introduction, l’auteur expose les différents sens du mot h (esprit). Il s’applique à différents degrés de l’esprit, et désigne d’abord les anges rapprochés, qui sont dans un état perpétuel de hayra tant ils sont voués à l’adoration du Seigneur. Ils ignorent même que Dieu a créé les cieux et la terre, et qu’Il a créé Adam. Il désigne aussi l’esprit qui est insufflé au moment de l’achèvement parfait de la création. Il relève du commandement direct de Dieu (amr) c’est-à-dire qu’Il intervient sans intermédiaire, directement de la part de Dieu. Le monde du commandement (amr) est le deuxième degré  (al-sabab al-thânî) par rapport à l’être absolu ((al-wujûd al-mutlaq), et le premier degré par rapport à l’être restreint (al-wujûd al-muqayyad). Il est le premier monde créé (al-mubda'ât). A lui s’oppose le monde de la création qui, lui, procède de Dieu indirectement, par une série de causes antérieures à lui.

Cet esprit est au corps dans le même rapport qu’un roi entretient avec son palais. Il ordonne, défend et juge...

Il apporte à l’appui de ses propos une citation de Sadr al-dîn Qûnawî, ici appelé al-Malatî[8] dans laquelle Qûnawî donne une définition du h: « L’esprit est l’expression désignant une partie (hissa) de l’absoluité de l’être (mutlaq al-wujûd) caractérisée (munsabigha) par les statuts de la vie, de la science, de la volonté et de la puissance, la domination de ces statuts revenant à l’attribut de la vie. »

 

[1]  Voir par exemple l’introduction de Qutb al-dîn Shîrâzî à son Durrat al-Tâj, introduction dans laquelle il dédie son ouvrage à un prince dont un des ancêtres est nommé Bahrâm Palâs.

[2] Nafahât al-Uns, nouvelle édition de Mahmûd ‘Abedî, Téhéran, 1370, page 465

[3] Hadiyyat ul-’ârifîn, vol. 1, colonne 283

[4] De Slane traduit: Traité des prières de commémoration qui rapprochent l’homme de Celui qui est la lumière des lumières, par le soufi al--Scharaf al-Balâsî.

[5] page 71 de l’édition de Paris

[6] Colline au pied de laquelle se trouve le tombeau du Shaykh al-Akbar.

[7] page 97 et suivantes.

[8] page 50.

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Omar BENAISSA - dans IBN ARABI