4 février 2021 4 04 /02 /février /2021 17:31

Dans le premier chapitre (al-bâb al-awwal), l’auteur démontre l'unité de l'intellect et l’unité de l’âme humaine avec des arguments empruntés à la philosophie, puis par des arguments traditionnels. Il illustre son propos par des vers d'Ibn ‘Arabî, qualifié de Shaykh al-akmal al-akbar:

1) al-rûhu wâhidatun wal-nash'u mukhtalifu

sûrat il-jismi kâna l-amrû fa'tabirû

2) Fi l-jismi kâna 'khtilâfu al-nafsi fa'tamidû

'alâ l-ladhî qultuhu fî dhâka fa-ddakkarû

2) fa-innahu l-'ilmu lâ raybun yudâkhiluhu

al-shamsu ta'rifu mâ qulnâhu wal-qamaru

 

1) L’esprit est un et la forme créée est diverse

C’est dans la forme du corps que se trouve l’affaire, méditez-le

2) C’est dans le corps que réside la différence des âmes, fiez-vous

à ce que je dis en cela, et méditez-le!

3) Car c’est la science même, aucun doute n’y pénètre

Le soleil connaît ce que nous disons, ainsi que la lune.

Notons que ces mêmes vers sont cités à la fin du persan Tabsirat al-mubtadî[1], mais l’auteur les y attribue à yekî az bozorgân, un grand homme, comme s’Il voulait dissimuler le nom d’Ibn ‘Arabî ou comme s’Il ignorait qu’ils étaient de lui. On retrouve l’idée - et même les mots- exprimée dans ces vers en maints endroits de l’œuvre d’Ibn ‘Arabî, comme par exemple dans les Fusûs al-hikam, au chapitre d’Idrîs (le quatrième) et au chapitre de Luqmân, (le 23ème). Dans ce dernier cas, Ibn ‘Arabî établit une comparaison entre sa conception de l’unité de l’âme et celle des ash’arites, disant que les accidents chez ces derniers correspondent aux multiples statuts et aux multiples formes que revêt l’âme, substance unique[2]. On peut aussi relever dans les Futûhât al-Makkiyya un vers où Ibn ‘Arabî emploie la même phrase :

wa l-’aynu wâhidatun wa l-hukmu mukhtalifu

lidhâ tanawwa‘ati l-arwâhu wa s-suwaru[3]

L’Essence est une et le statut variable (divers)

D’où la diversité des esprits et des formes.

Palâsî-Shîrâzî commente le dernier vers en disant qu’Il signifie que la lumière du soleil est d'une seule nature (sifa). Mais quand elle touche un verre coloré, elle en révèle les couleurs, alors qu'elle reste elle-même ce qu’elle est (incolore). C’est une image que l’on retrouvera chez Jâmî, reprise presque textuellement[4].

« Quant à la science qui n’a pas de contraire, elle est la contemplation de l’Etre. Et il n’est point de contraire  à l’Etre aux yeux des gens de la contemplation. Et si l’on dit: le néant est le contraire de l’être, nous dirons: l’être dont le néant est l’opposé, est celui dont les (partisans des) pensées disent qu’Il est un accident de la quiddité. Ceci est à leurs yeux un accident, et son contraire est l’absence d’accident. Quant à ce que comprennent les gens de la contemplation et du dévoilement au sujet de l’être, c’est celui qui englobe l’immutabilité aussi sous tous les points de vue, et il inclut le néant relatif, car ce néant est doté de l’être mental (fî-l-dhihn). Quant au néant pur (al-sirf), c’est ce qui n’a jamais été et jamais ne sera, et qui ne pénètre pas les pensées (dhihn), celui-là, on n’emploie pas les mêmes paroles à son sujet que le précédent. Car il n’est pas une réalité qui mérite qu’on la désigne par l’imagination; comment alors mériterait-il qu’on le désigne comme le contraire de l’être. Ceci est absurde... »[5]

A la page 61, on retrouve une nouvelle citation du Shaykh al-Akbar (appelé ainsi par l'auteur), cette fois extraite des Fusûs al-hikam, chapitre d'Adam.

A la page 65, dans le chapitre intitulé hikma ‘arshiyya, sagesse émanant du trône, mention de l'Insân al-kâmil qui est la kalima al-kubrâ al-jâmi‘a al-fâsila (la parole majeure réunissante et distinguante), expression sans doute empruntée à Qûnawî.

L'expression de a'yân thâbita apparaît en de nombreuses occasions même s’Il en signale de nombreux équivalents et synonymes (al-marâtib, al-shu’ûn, al-mâhiyyât, al-ahwâl), et aussi celle de ahadiyya al-jam‘ (unité synthétique), qui font partie du vocabulaire akbarien (par exemple, pp.74 et suivantes).

Dans la conclusion de cette première épître[6], intitulée troisième avertissement (tanbîh al-thâlith), Hasan b. Hamza développe la notion de ‘ilm et en expose la réalité (haqîqat). Après avoir apporté le témoignage de plusieurs personnalités selon lequel la connaissance parfaite de Dieu est impossible, il en arrive à la conclusion que cette impossibilité de connaître le Réel a conduit les hommes à la perplexité devant la grandeur et la majesté divines: « Ils ont alors dit: Il n’y a dans l’être que Dieu et ses actes, et ses attributs ne s’ajoutent pas à son Essence. Le sens en était qu’Il n’y avait que l’être et ses différentes significations, appelées degrés (marâtib) par certains, quiddités, par d’autres, les possibles pour d’autres encore, les états, les affaires (shu’ûn), et enfin les essences éternelles (a‘yân thâbita), qui sont les réalités des créatures. Ces significations ne sont pas instaurées (maj‘ûla), car la réalité du Réel transcende l’instauration et la réaction (ta’aththur). Il n’y a pas de troisième chose à part le Réel et les Essences immuables. Et il n’y a pas d’effet d’une chose sur une chose. Mais les choses agissent elles-mêmes sur elles-mêmes. Et ce que l’on appelle les causes, elles agissent selon des conditions pour faire apparaître les effets des choses sur elles-mêmes; cela ne veut pas dire qu’Il y a une réalité agissant sur une réalité autre qu’elle-même. De même, il n’y a pas de chose qui vient aider une chose autre qu’elle-même. L’aide provient de l’intérieur de la chose à son extérieur, et l’épiphanie ontologique fait apparaître cela. L’acte de faire apparaître ne résulte pas d’une action sur la réalité de ce qu’Il fait apparaître. Ce sont les relations qui interagissent entre elles, dans le sens que certaines sont la cause de l’apparition d’autres.

Plus loin[7], il écrit: il n'y a rien d’autre dans l’être que son Essence et les concomitants (lawâzim) de Son Essence.

Puis en conclusion, il critique les contempteurs, les négateurs du soufisme, dans un exposé qui rappelle la critique que fait indirectement Ibn ‘Arabî des littéralistes dans le chapitre de David des Fusûs al-hikam. Palâsi ne fait pas le rapport explicitement, mais il finit son exposé par une citation d'un vers universaliste d'Ibn 'Arabî;

'Aqada al-khalâ'iqu fî l-ilâhi 'aqâ'ida

wa anâ 'taqadtu jamî'a mâ 'taqadûhu

Les hommes ont différentes croyances au sujet de Dieu,

Et moi je les professe toutes[8] . 

A la fin de cette même épître[9], l’auteur nous donne comme promis la version arabe réalisée par lui-même du texte de la recommandation en persan que lui fit son maître Muhammad ibn Siddîq ibn Muhammad (ob.677/1278), au service de qui il affirme avoir passé neuf ans.

 

[1] Attribué par certaines sources à Sadr al-Dîn al-Qûnawî. Le Tabsirat al-mubtadî wa tazkirat l-muntahî, en persan, texte publié dans la revue iranienne Ma‘âref, paraissant à Téhéran, dans son numéro Vol. II, n°1, année 1364.

 W. Chittick discute à raison l’attribution de cet opuscule à Qûnawî, dans son Faith and practice. Il ignore cependant ce texte de Palâsî-Shîrâzî (qui est sans doute aussi le Sharaf al-dîn Mowsili  mentionné par Aflâkî, Jandî et Jâmî), et n’a pas relevé que les vers en question étaient d’Ibn ‘Arabî, bien que leur contenu et leur mètre soient caractéristiques  de ce dernier.

[2] Fusûs al-Hikam, édition de ‘Afîfî, respectivement pages 77 et 188

[3] Futûhât al-Makkiyya, édition Bulaq, vol. II, page 394, dernière ligne.

[4] Dans le Naqd al-nusûs, cité par W. C. Chittick, in Sadr al-Dîn Qûnawî on oneness of being, in  International Philosophical Quarterly, vol.XXI, 1981, page182

[5] page 59-60

[6] page 75

[7] page 77

[8] Futûhât al-Makkiyya, édition de Bulaq, vol. III, p.132

[9] page 81

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Omar BENAISSA - dans IBN ARABI