2 janvier 2021 6 02 /01 /janvier /2021 00:47

 

Adam et Eve n’étaient pas au Paradis

(Ni péché originel, ni chute de l’homme)

 

« Auparavant, les tribus des hommes vivaient sur la terre, exemptes des tristes souffrances, du pénible travail et de ces cruelles maladies qui amènent la vieillesse, car les hommes qui souffrent vieillissent promptement. Pandore, tenant dans ses mains un grand vase, en souleva le couvercle, et les maux terribles qu’il renfermait se répandirent au loin. L’Espérance seule resta. Arrêtée sur les bords du vase, elle ne s’envola point, Pandore ayant remis le couvercle, par l’ordre de Jupiter qui porte l’égide et rassemble les nuages. Depuis ce jour, mille calamités entourent les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Jupiter les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Jupiter. »

— Hésiode, Les Travaux et les Jours

 

Cet article s’inspire d’un passage instructif et original du chapitre traitant du commentaire par Sadr al-Dîn Qûnawî de la ‘’sagesse de David’’ (Dâwûd), prophète de la Bible et du Coran, telle qu’elle est exposée par Ibn Arabî au chapitre 17 de son Fuṣûṣ al-Hikam.

Sadr al-Dîn al-Qûnawî, disciple direct et principal héritier de l’enseignement du Cheikh al-Akbar, est l’auteur d’un livre dénouant les principales difficultés de l’ouvrage le plus célèbre de son maître et beau-père. Ce livre est intitulé justement Kitâb al-Fukûk, soit le ‘’livre des descellements’’, où les sceaux (fukûk) qui gardent le secret du Fuṣûṣ sont brisés pour en permettre la compréhension par les non-initiés.

Le passage en question se situe au chapitre 17 comme nous l’avons dit, qui s’intitule ‘’descellement du chapitre de David’’ (Fakk al-fass al-Dâwûdî),  qui occupe un peu plus de 5 pages.

Le voici en essai de traduction partielle en langue française :

« Ce qui confirme ce que j’ai mentionné au sujet de la supériorité du gouvernement divin (califat, khilâfa) de David et de Salomon sur le califat d’Adam, et leur supériorité aux deux en connaissance ésotérique (‘ilm) et dans la concrétisation de leur objectif, c’est ce qui figure dans le hadith dont la chaine de transmetteurs est sûre : « Dieu a donné le choix à Salomon entre la science (‘ilm), la royauté (mulk) et la richesse (mâl)… Dans une autre version de la tradition (hadith), au lieu de la richesse, il y a la prophétie… Il (Salomon) choisit la science. Dieu lui a alors accordé (en récompense) la royauté, la richesse et la prophétie, pour avoir choisi la science, le savoir. »

Quant à Adam, Dieu fit s’agenouiller devant lui tous les anges et Il l’a fait entrer dans le ‘’Jardin/Paradis’’, en lui disant : « Tu n’y auras pas faim ni ne seras nu, tu n’y auras pas soif ni ne seras frappé par l’ardeur du soleil. » (20 : 118 et 119).

Ce verset ne semble pas convenir à un discours adressé à un habitant du Paradis. Les avantages sont énumérés de façon négative : tu n’auras pas faim, tu n’auras pas soif, etc., alors que l’on s’attend à ce qu’il entende des informations concernant la richesse et le faste du Paradis. Ce qui nous permet de considérer que ces paroles lui ont été adressées alors qu’il était sur terre, comme gage de vérité.

Quand ils ont entendu la parole d’Iblîs : «Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des Anges ou d’être immortels». (7 : 20) Adam et son épouse l’ont cru et ils ont agi conformément à l’attente de Satan.

Ce récit présente deux points faisant problème, et je n’ai trouvé jusqu’ici personne ayant porté son attention sur eux. Personne non plus, parmi les gens du savoir exotérique ou ésotérique, n’a pu me donner une réponse à ce sujet. Il s’agit du fait suivant : après que les anges se sont tous prosternés devant Adam sur ordre de Dieu, sa supériorité sur eux était devenue évidente car il avait reçu de Dieu la connaissance des Noms, et le califat, c’est-à-dire la charge de représenter Dieu sur terre. Or Dieu l’avait mis en garde aussi de ne pas s’approcher de l’arbre. Après tout cela, comment Adam a-t-il pu quand même désobéir à Dieu, et prêter l’oreille à la parole d’Iblîs qui lui faisait miroiter la possibilité de devenir un ange.

Si Adam et son épouse se trouvaient alors au Paradis, comment cela a-t-il été possible que Satan ait pu se frayer un chemin (se soit insinué) au Paradis ? Comment Satan a-t-il pu les tromper lui et sa femme, même au Paradis, lieu le mieux surveillé qui soit ?

Et comment cela a-t-il été possible alors que nul n’ignore que celui qui entre au Paradis tel qu’il est défini par la promesse divine, n’en sortirait jamais, et que la forme paradisiaque n’est pas sujette à la corruption, et qu’elle est éternelle par essence et incorruptible ?

Cette situation prouve de façon évidente, que le lieu où Adam et son épouse se trouvaient n’est pas le paradis dont l’étendue est celle des cieux et de la terre, dont le sol est le Piédestal (kursî) qui est la huitième sphère, et dont le toit est le Trône (‘arsh) du Miséricordieux. Il n’échappe à personne que ce paradis n’est pas dans le domaine du monde de la corruption [1] (al-kawn wa l-fasâd), et que ses délices ne sont pas temporaires, ni sujets à épuisement. Car cette station donne de par son essence même, la connaissance que requiert sa réalité, à savoir l’impossibilité que ses délices soient interrompus par la mort ou une autre chose, comme le dit Dieu : « Et quant aux bienheureux, ils seront au Paradis, pour y demeurer éternellement tant que dureront les cieux et la terre - à moins que ton Seigneur n’en décide autrement – c’est là un don qui n’est jamais interrompu. » (11 : 108)

La situation d’Adam et d’Ève (s) dans cette affaire est comparable à celle des Enfants d’Israël à propos desquels Dieu dit : «…Voulez-vous échanger le meilleur pour le moins bon? Descendez donc à n’importe quelle ville; vous y trouverez certainement ce que vous demandez!...»   (2 : 61)

C’est pour cette analogie, cette affinité entre les deux situations que, dans la sourate de la Vache, Dieu a mis en rapport l’histoire d’Adam avec l’histoire de Moïse et des Enfants d’Israël, - malgré le grand écart de temps qui les sépare, -. Dieu a gardé la ressemblance dans la situation et l’ambiance, mais pas dans le temps. Comprends donc ! Ceci est un secret parmi les secrets du Coran.

En plusieurs passages, le Coran mentionne des noms de prophètes. Parfois leurs noms sont mentionnés selon un ordre spécial, dans un passage. Puis ils sont évoqués dans un autre contexte, selon un ordre différent du premier. En ce sens qu’il (le Coran) met en tête les noms de ceux qu’il avait mentionnés en queue, dans un autre ordre. Et il met en queue les noms de ceux qu’il avait mentionnés en tête, auparavant. Puis dans un troisième et quatrième contexte, ils sont mentionnés, à chaque fois dans un ordre différent des ordres précédents. Cela en plusieurs endroits, différents les uns des autres.

Le secret réside en ce que dans ces mentions, on a pris compte des inégalités de leurs rangs et de leurs degrés en raison des préférences pour les uns sur les autres, à quoi se réfère le Coran : « Parmi ces messagers, Nous avons favorisé certains par rapport à d’autres… » (2 : 253) Parfois, le Coran observe un ordre sur le critère de l’antériorité ou de la postérité dans le temps. D’autres fois, il tient compte de la similarité de leurs actes et de leurs états, mentionnés dans la sourate ou dans les fragments de sourate ou récits les concernant. Parfois, il tient compte de l’adhésion commune à une même Loi (sharia) et aux mêmes statuts juridiques. Dieu dit : « A chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre.» (5 : 48) et : « Et tout d’un coup, douze sources en jaillirent, et certes, chaque tribu sut où s'abreuver! » 2 : 60… »

Qûnawî a raison de noter que le sujet dont il traite ici n’a jamais été abordé auparavant.

L’interprétation du récit d’Adam et Eve qu’il nous propose est originale, toute autre et toute différente de l’imagerie populaire reprise par la majorité des commentateurs du Coran, qui n’ont pas jugé utile de se pencher davantage sur le sujet. L’histoire de la ‘’chute du paradis’’ semblait aller de soi comme explication de l’origine de notre présence sur terre.

Qûnawî a mis le doigt sur ce qui a priori peut sembler être un ‘’point de détail’’. Or il oblige à revisiter les Écritures des uns et des autres. Sa remarque est très instructive. Il ouvre un débat là où tout le monde avait pensé que le débat était clos.

Quoiqu’on ait pensé jusqu’ici, le premier couple humain ne vivait pas au Paradis. Il ne pouvait donc pas avoir chuté puisqu’il ne s’était jamais trouvé au paradis, ou en quelque haut lieu idéal et béni.

Adam et sa femme étaient sur terre comme des créatures ordinaires pour poursuivre une étape de leur développement, de leur évolution. Dieu installe l’humanité sur terre, en commençant par le couple qui sera l’ancêtre de milliers de générations…et de milliards d’êtres humains, tous issus de ce couple originel.

Le ‘’jardin’’ dont il est question ne peut donc pas être le paradis promis aux bienheureux, aux méritants parmi les croyants, après la mort. Dans le Coran, le terme employé pour le lieu où se trouvait le premier couple est celui de jannah, au singulier et jinân ou jannât au pluriel, signifiant jardin en arabe. Ce terme peut être employé pour désigner le paradis de l’au-delà aussi bien qu’un jardin ordinaire de ce monde. Dans le premier cas, il est suivi d’un complément de nom comme dans : jannat al-khuld, jardin d’éternité pour le distinguer d’un jardin de ce monde.

De toute façon, ‘’le prologue dans les cieux’’, est clair. Dieu annonce aux anges ‘’qu’Il va établir un califat sur terre’’, ou, autre sens possible : établir un calife dans la terre’’, auquel cas le calife serait le souffle divin insufflé dans la terre, l’argile, i.e. l’acte créateur de Dieu.

C’est dès le début qu’Adam est destiné à vivre sur terre. Dieu n’a pas dit ; ‘’Auparavant, Je l’établirai au Paradis, pour le tester.’’ Il n’a pas dit non plus qu’Adam était au paradis, et qu’il l’en a sorti pour l’envoyer vivre sur terre.

L’aventure d’Adam, l’aventure humaine commence sur terre, pas au Paradis.

Or le paradis promis dans l’au-delà, est un lieu de perfection, un lieu où l’homme jouit de sa situation de méritant aux yeux de Dieu, définitivement mis à l’abri de toute erreur, de tout péché, de tout besoin, de toute peur, etc. Il ne s’y trouve aucune source de tentation, pas même celle du méchant, qui ne peut donc pas se trouver au Paradis, par définition. Ce statut rêvé s’obtient après la mort, par le mérite acquis auprès de Dieu par les bonnes œuvres.

Comment un être négatif et mal intentionné, comme satan, pourrait-il y pénétrer pour y tromper les élus de Dieu, troubler leur paix ? Le paradis est le lieu de la perfection de l’homme, le lieu où cet homme est en possession parfaite de tous ses pouvoirs, et de tous ses privilèges. Dieu lui-même le protège de toute intrusion de satan.

Adam et son épouse étaient donc sur terre et pas au paradis. Ils y ont été amenés, pas pour payer leur faute, mais pour être testés, et initiés à une forme particulière de la création divine, celle de la vie sur terre. Ils ne sont pas des êtres maudits ayant suscité la colère divine, et condamnés à payer leur faute. Adam est un prophète, dans l’islam. Un prophète sans peuple, mais un prophète quand même.

Il n’y a pas eu de faute commise, de la part ni d’Adam ni d’Eve. Pour la raison qu’au paradis réel, on ne peut pas faire de faute, commettre de péché. Ils ne se trouvaient pas au Paradis qui est le lieu de la récompense finale des hommes.

Redisons-le, le Jardin où Adam et Eve se sont rapprochés de l’arbre interdit, se trouve sur terre. Et si les hommes continuent d’y séjourner, c’est qu’ils sont sans cesse en train de s’en rapprocher encore chaque fois qu’ils désobéissent à Dieu. La faute continue d’être commise constamment. Le statut de l’homme ne change donc pas, sinon il serait retourné à son état premier, depuis bien longtemps.

Les hommes ont conscience de l’existence d’un moyen pour la réparation de leur faute, mais ils ‘’oublient’’ [2]. C’est pourquoi, ils ne trouvent pas le chemin de la paix intérieure, ce qui les éloigne du chemin de l’arbre, qui nous dissuade de nous en approcher. Pourtant, c’est un arbre qui se trouve en chacun de nous, si nous prenons compte de la racine de shajara (arbre) qui est la même que celle de mushâjara, dispute, querelle, dans l’arbre généalogique issu d’Adam et d’Eve.

Qûnawî commente ainsi l’ordre donné à Adam et Ève de quitter le lieu où ils se trouvaient : ‘’descendez-en !’’ (‘’hbitû minhâ’’), (2 : 38), alors qu’en l’occurrence, Il aurait du employer le duel hbitâ !

Dieu s’est adressé alors à l’ensemble de la progéniture adamique en employant le pluriel ‘’hbitû’’ comme un cas similaire à l’ordre donné aux Enfants d’Israël, où Dieu dit aux Hébreux dans la même sourate de la Vache : ‘’Hbitû misrâ… اهبطوا مصرا (Descendez dans une (autre) ville)’’ (2 :61)

Dans les deux cas, la scène se passe sur terre. Adam et Ève se trouvaient dans les deux situations sur terre. (fin de citation)

Nous concluons donc avec Qûnawî, qu’Adam et Ève n’ont jamais été au Paradis, et que par conséquent, ils n’en ont jamais été expulsés, ou exclus. Il n’y a pas de chute adamique, dans le Coran, dans l’islam.

Première remarque sur la prophétologie coranique :

Chaque prophète est envoyé avec une loi dont la durée est fixée d’avance par Dieu, le principal critère étant la qualité de l’énergie du prophète concerné. Il y a des prophètes mineurs et des prophètes majeurs, mais ils sont tous crédibles, car désignés par Dieu. Et ils ne se contredisent pas, car la Parole divine ne peut se contredire, sinon en apparence.

Certains sont des prophètes-envoyés, c’est-à-dire ayant été missionnés avec une révélation transcrite dans un Livre. D’autres sont des prophètes qui annoncent oralement des informations célestes, mais qui restent engagés par la loi de l’envoyé ou du prophète précédent, et ne sont pas missionnés avec un ‘’livre’’ nouveau.

Le premier prophète fut Adam. Sa loi était rudimentaire, parce qu’elle ne concernait qu’un couple d’êtres humains et leurs enfants, premier foyer de l’humanité.

La loi adamique a duré très peu. Après le premier meurtre commis par Caïn qui tua Abel (Qâbil et Hâbil), Dieu a instauré la loi du châtiment du meurtre sans droit… qui décrète que tuer injustement un homme revient à tuer tous les hommes. Comme quoi tout meurtre non justifié par la Loi divine était déjà ‘’un crime contre l’humanité’’, littéralement comme le dit Coran : « Celui qui tue une personne sans droit, c’est comme s’il avait tué tous les hommes » (5 : 32)

Avec le temps, au fur et à mesure que l’humanité s’accroit et agrandit son territoire, et que les sociétés humaines se différencient et deviennent de plus en plus complexes, les lois divines seront précisées pour chaque cas d’espèce nouveau. Parfois elles reconduisent les lois des prophètes antérieurs, parfois, elles les abrogent et les remplacent par de nouvelles lois.

Ces lois ont été définitivement achevées et instaurées, avec les réponses que le Prophète de l’islam, qui est le sceau de la prophétie, a apportées aux questions qui lui furent posées par ses contemporains, en complément des lois qui avaient été déjà établies par/pour les prophètes antérieurs et que le Coran reprend à son compte.

Avant le déluge, la loi de Noé par exemple, fut la règle pendant 950 ans (‘’mille ans moins cinquante’’, dit le Coran). ‘’Et en effet, Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il demeura parmi eux mille ans moins cinquante années. Puis le déluge les emporta alors qu’ils étaient injustes. Puis Nous le sauvâmes, lui et les gens de l’arche; et Nous en fîmes un avertissement pour l’univers.’’ (29 : 14 et 15)

Le passage suivant : ‘’Il demeura parmi eux mille ans moins cinquante années.’’, traduit un segment du verset qui se lit en arabe : ‘’fa-labitha fi-him…’’ qui peut se traduire aussi par :’’il demeura en eux’’ qui se réfère à une intériorité (fî-him = en eux ou parmi eux). Cela peut donc se comprendre que Noé n’a pas forcément vécu 950 ans, mais que sa présence à travers la forme de religion qu’il a apportée, a duré 950 ans. C’est sa religion qui avait une durée de vie de 950 ans, pas lui. Il a accompagné en esprit, les générations qui se sont succédé après lui, durant une période de 950 ans.

Si nous entendons le verset au sens littéral, il impliquerait aussi que ce n’est pas seulement Noé qui aurait vécu 950 ans, mais tout son peuple. Cela n’aurait pas de sens.

« Et en effet, Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il demeura parmi eux mille ans moins cinquante années. Puis le déluge les emporta (après Noé) alors qu’ils étaient injustes. » (l’Araignée, 29 : 14)

وَلَقَدْ أَرْسَلْنَا نُوحًا إِلَىٰ قَوْمِهِ فَلَبِثَ فِيهِمْ أَلْفَ سَنَةٍ إِلَّا خَمْسِينَ عَامًا فَأَخَذَهُمُ الطُّوفَانُ وَهُمْ ظَالِمُونَ    

labitha fî-him diffère de labitha ma‘ahum. Fî-him se réfère à une présence intérieure et spirituelle. Ma‘ahum se réfèrerait à une présence réelle. Ainsi Noé n’a pas vécu 950 ‘’avec eux’’, cela reviendrait à dire que le peuple de Noé a aussi vécu 950 ans avec Noé.

Quant au segment de verset : ‘’Puis Nous le sauvâmes, lui et les gens de l’arche; et Nous en fîmes un avertissement pour l’univers.’’ On peut penser que cela signifie que Dieu a sauvé leurs corps et en fit un avertissement…’’ Comme dit le Coran à propos de Pharaon, noyé par le flot : ‘’ ce jour, Nous te sauvons ainsi que ton corps afin de faire de toi un signe pour ceux qui te succèderont.’’ (Sourate 10, verset 92)

Lorsqu’une religion devient caduque, Dieu la remplace par une autre plus adaptée. La durée de vie d’une religion est en relation avec l’aptitude et la force que Dieu a donné au prophète concerné afin de la prêcher, de la lancer. Elles étaient toutes prévues pour durer un certain temps chacune, jusqu’à ce qu’un prophète vienne la rénover, ou apporter une version toute nouvelle de la religion. Ce fut le cas, jusqu’à ce que la dernière version, définitive, vienne pour sceller le cycle de la révélation.

Conclusion : Noé n’a pas vécu 950 ans. C’est sa religion qui a été pratiquée pendant 950 ans, ce qui devait être alors une innovation par rapport aux religions précédentes. Il y eut beaucoup de religions et de prophètes au cours des âges.

Les religions antérieures à l’islam du Prophète, avaient une espérance de vie variable. Celle de Noé a duré 950 ans. Nous n’avons plus de trace de l’enseignement de la religion de Noé.

Mais le Fusûs al-Hikam d’Ibn Arabî nous donne une indication subtile sur l’essentiel de sa mission.

Le Fusûs explique la prophétie générale comme une construction consciente de ce que la religion attend de nous, à différentes étapes de notre histoire d’hommes. Il établit une typologie des prophètes qui range ces derniers de façon que chacun représente un aspect de l’édifice à la construction duquel il a participé. Ibn Arabî redonne son unité à la LA religion, en en faisant la somme, la synthèse, de toutes les ‘’religions’’ Dieu n’envoie pas de prophètes dans le désordre.

C’est une interprétation d’origine biblique qui a sans doute fait suggérer chez certains musulmans que Noé a vécu 950 ans. Si cet âge exceptionnel était propre à Noé, alors on serait en droit de nous demander comment les générations successives qui l’on vu, s’expliquaient sa longévité singulière. Cette longévité aurait pu être alors son principal miracle. Mais est-ce bien utile ?

Il faut donc comprendre que la durée de vie d’une religion est dépendante de la profondeur et de la pertinence des innovations qu’elle apporte par rapport à la précédente. Tant qu’elle répond aux besoins des hommes, la religion survit, même quand elle présente des failles incontestables. Noé a été envoyé avec une religion nouvelle capable de durer et surtout de supplanter les croyances antédiluviennes.

Toutes les religions n’ont été que des étapes préparant l’avènement de la dernière religion qui devrait exister jusqu’à la fin du monde. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi l’islam s’est annoncé, d’emblée comme la dernière religion, et que son prophète est proclamé par le Coran comme le sceau des prophètes. Les premières religions devaient sûrement avoir une durée de vie courte, très courte. Dieu initiaient les hommes à l’obéissance et n’exigeait pas beaucoup d’eux.

« Muhammad n’a jamais été le père de l’un de vos hommes, mais le messager d’Allah et le dernier (sceau) des prophètes. Allah est Omniscient. » (33 : 40)

D’ailleurs la fin de la chaine des prophètes, est remplacée par une chaine nouvelle qui est celle des Imams. Il n’y aura plus de prophète, mais des personnes compétentes appelées Imams, pour donner des avis fondés sur les sens des versets coraniques, pour écarter les querelles d’interprétation sans fin.

Selon que l’écart historique qui les sépare du Prophète se raccourcit, les messages des prophètes auront plus de contenu à caractère définitif, et par conséquent une chance de survivre, du moins en partie.

La religion de Jésus, qui a précédé celle de Muhammad, a eu une durée de vie de loin plus longue que celle de Noé (nous sommes en 2020 après J.C.). Parce que Jésus est plus proche du Prophète de l’islam dont il fut l’annonciateur, et aussi parce que le Jésus de l’islam n’est pas mort, mais seulement élevé au ciel, sa religion poursuivra son chemin aux côtés de l’islam jusqu’au retour de Jésus qui rejoindra le Prophète de l’islam, comme l’enseigne la tradition.

Jésus (S) a annoncé la venue de Muhammad (S). On comprend pourquoi les religions apportées par les trois derniers prophètes survivent. D’abord, parce qu’elles diffèrent peu par le message. Les deux religions qui ont précédé l’islam, le judaïsme et le christianisme, peuvent prétendre à une bonne place, et ont rapproché l’humanité de la religion parfaite.

Ce n’est pas sans raison que le Coran n’a pas aboli les deux dernières religions qui l’ont précédé, le judaïsme et le christianisme. Les israélites et les chrétiens sont reconnus comme gens du Livre (ahl al-kitâb).

Comme ces deux religions avaient encore un grand nombre d’adhérents, cela prouvait qu’elles avaient une force intrinsèque suffisante pour poursuivre leur chemin, à l’écart de l’islam. C’est pourquoi ce dernier leur a reconnu un statut spécial.

Deuxième remarque :

Noé lui-même n’a pas vécu 950 ans, mais sa présence à travers la Loi qu’il a apportée, a duré 950 ans. Ne serait-ce que dans le but de nous éclairer sur ce point que les durées de vie des religions sont déterminées par les conditions socio-historiques qui furent celles des prophètes qui les prêchèrent.

Ensuite, sa loi est tombée dans l’oubli, même si le nom de Noé nous est parvenu. Et les textes sacrés en font mention pour nous aider à comprendre justement comment une Loi est toujours liée au prophète qui l’a apportée, par l’intermédiaire duquel Dieu l’a transmise aux hommes. C’est la raison pour laquelle on parle de Loi de Noé, de Loi de Moïse, et de Loi ou de religion (Dîn) muhammadienne.

Dieu choisit ses prophètes en fonction des missions et prédispositions de chacun d’eux. Il en est qu’Il envoie pour diriger une famille, une tribu, une ville, ou tout un peuple. A chaque fois, la compétence requise sera différente. Si nous supposons que tout homme est potentiellement compétent pour devenir un prophète, cela va impliquer de définir une règle des capacités inhérentes. Un homme peut être un prophète, même quand il n’a que son épouse pour ‘’peuple’’, comme ce fut le cas d’Adam.

L’énergie de lancement d’une version de cette religion diffère en fonction de l’ordre de venue du Prophète qui la porte ; si elle reçoit une forte impulsion, elle peut durer plus longtemps que la forme qui la précède. Cette énergie est placée dans le prophète porteur de cette prophétie. Et elle sera héritée par le prophète successeur, car chacun d’eux constitue une brique de l’édifice construit par Dieu. Toutes les prophéties constituent comme un puzzle qui raconte comment les hommes ont été, petit à petit, initiés aux secrets divins. Lorsque les arguments apportés par les prophètes ont achevé de constituer le système, il ne restait plus qu’à faire venir le Sceau de la Prophétie, c’est-à-dire le prophète qui inaugure le début d’un cycle nouveau, celui où les hommes n’attendront plus de prophète, et n’en n’éprouveront plus le besoin jusqu’à la fin des temps.

Pour cela, il fallait évidemment que sa mission soit accomplie de façon qu’elle garantisse aux hommes toutes les conditions pour connaître Dieu de façon que cette connaissance soit la plus claire possible.

Le chiisme enseigne que puisque les hommes ont reçu le message définitif de Dieu, à savoir le Coran, ils n’ont plus besoin que des imams qui sont les successeurs des prophètes. Ces imams n’apportent pas de révélation nouvelle, ils n’ont pour mission que d’être des guides et des interprètes autorisés de la Loi du Prophète de l’islam. La prophétie est définitivement close après lui.

De nos jours, la religion apportée par le prophète qui a été envoyé par ‘’miséricorde pour les univers’’ (rahmatan lil-‘âlamîn),  a déjà duré plus de 1441 ans lunaires, soit 1400 années solaires.

Nous sommes donc devant une théorie des prophètes selon laquelle le dernier prophète devait venir avec le rayonnement le plus puissant de façon à illuminer le plus de peuples, l’humanité entière, et que le prophétisme parvienne à tous les peuples de la terre, en profitant du reliquat de lumière des religions précédentes. C’est pour cela qu’on dit que le prophète de l’islam est le Sceau des prophètes, c’est-à-dire qu’il n’y aura plus de prophète après lui. Il a agi de façon que l’humanité se passe désormais de tout nouveau prophète. Le Prophète a dit qu’il était la dernière brique de l’édifice.

La fin (du cycle) de la prophétie est donc une ‘’bonne nouvelle’’ parce qu’elle ne signifie pas qu’elle est la fin du monde. Bien au contraire, elle annonce que désormais les hommes n’auront plus besoin de prophète pour se guider. Ils auront juste besoin de respecter la loi du dernier prophète. Parce que les hommes ont toute l’intelligence nécessaire pour se guider par d’autres hommes éclairés parmi eux.

L’humanité est entrée dans sa phase de maturité. Quand ces guides seront tous partis, quand ils ne seront plus de ce monde, là, il n’y aura plus rien à espérer de la vie sur terre.

Et la forme de religion que Dieu a prévue comme la dernière, devait forcément être confiée à un homme apportant la Loi la plus parfaite, et capable de durer de façon illimitée dans le temps, c’est-à-dire jusqu’au temps de la résurrection.

‘’Le halâl de Muhammad sera halâl jusqu’à la fin du monde, et le harâm de Muhammad sera harâm jusqu’à la fin du monde.’’ Cela signifie que la Loi de Muhammad a une durée de vie la plus longue, et il n’y en aura pas de nouvelle. Elle clôture le cycle prophétique. Sa Loi a la capacité de répondre aux besoins des hommes jusqu’à la fin du cycle. Ce sera donc la dernière Loi. Quand une chose atteint sa perfection, elle sait qu’elle ne peut pas attendre un mieux.

Mais le fait que Dieu fixe des limites aux religions, prouve qu’Il réservait la dernière venue, l’islam, pour être celle qui durera jusqu’à la fin des temps. C’est le cas aujourd’hui, où les religions meurent les unes après les autres, faisant de la place à l’islam. La ‘’mort’’ des religions consiste dans le fait qu’elles cessent petit à petit de répondre aux questions que se posent les croyants, qui vont alors chercher les réponses dans une nouvelle religion.

Avec les prophètes législateurs, Moïse, David et Salomon, on remarque que la loi a pris de l’ampleur par rapport aux prophètes qui les ont précédés et qui agissaient surtout dans le but d’enseigner l’essentiel du monothéisme, sans trop insister sur les autres devoirs rituels.

                                                                                     Dr Omar BENAISSA

 

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[1] L’expression al-kawn wa l-fasâd, monde sublunaire (sujet à détérioration), provient de l’enseignement d’Aristote, qui l’oppose aux étoiles qui sont réputées ‘’fixes’’ donc invariables, tel que recueilli par les philosophes musulmans.

[2] Dans le Coran, il est question de ‘’l’oubli’’ absolu d’Adam, en employant à son sujet le verbe ‘’fa-nasiya’’, sans complément d’objet. ‘’Il oublia’’, comme pour annoncer que cela fut le début de la déchéance humaine. Le lecteur attentif du Coran s’arrête sur ce point.

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Omar BENAISSA