19 mars 2020 4 19 /03 /mars /2020 15:57

Un thème qui n’a rien à voir avec les fantasmes modernes

 

Le thème des houris du paradis, comme on dit, est bien sûr le plus important, le plus saillant, pas seulement pour des raisons modernes où l’instinct est glorifié et dévoyé à la fois.

Il l’est parce que le sujet est le plus important qui soit dans la vie des hommes. L’homme et la femme étant deux parties qui furent jadis unies, ont été séparées dans ce monde. C’est ce que soulignent toutes les religions.

Il va de soi que c’est cette aspiration à reproduire cette unité perdue qui anime les hommes et les femmes. C’est déjà perceptible dans l’attraction de l’amour, dans sa forme mondaine.

 Voici ce qu’écrit le grand métaphysicien musulman Ibn Arabî (mort en 1240)

« Comme l’homme aime la femme, il cherche à s’unir (à elle), c’est-à-dire (qu’il recherche) l’union la plus complète dans l’amour. Or, la forme de sa constitution corporelle ne comporte pas d’union plus grande que l’union sexuelle. La volupté envahit alors tous ses membres. C’est pour cela qu’il lui a été ordonné de se purifier de cette union au moyen de la grande ablution : la purification est générale, tout comme l’a été l’extinction dans la femme au moment de la volupté suprême[1]… ». Plus loin, Ibn Arabî écrit : « Celui qui aime les femmes de cette façon les aime d’un amour divin, tandis que celui qui les aime d’un désir naturel perd la science [principielle] de ce désir : il s’agit pour lui d’une forme sans esprit – bien qu’elle soit douée d’esprit selon la réalisation véritable – car celui-ci ne peut être vu de celui qui s’approche de son épouse, ou de quelque femme que ce soit, pour la seule jouissance, sans savoir à qui elle se rapporte (en réalité). Il ignore de lui-même ce que les autres ignorent de lui tant qu’il ne L’a pas nommé de sa bouche. Comme l’a dit le poète :

Les gens sont bien certains que je suis amoureux…

Sauf qu’ils ignorent pour qui est mon amour ! » (Traduction de Charles-André Gilis)

 

Cela est dit pour l’amour dans ce monde, je vous laisse imaginer ce qu’il en sera dans l’autre, où la constitution corporelle sera remplacée par l’esprit.

A propos de l’intention exprimée par Luxenberg de défendre le Coran en le débarrassant des houris…

Cette intention, peut-être sincère, traduit en réalité une conception erronée de la sexualité chez cet occidental. Luxenberg voudrait que l’islam se rallie à la conception naïve chrétienne du paradis, un paradis pour enfants de chœur !

Les musulmans n’éprouvent aucune honte à parler de ce qui est au centre même de l’univers et de l’être : l’amour qu’éprouvent tous les êtres, y compris les moindres particules élémentaires pour l’objet autour duquel elles gravitent. L’attraction de la lune par la terre. Tout être  possède sa part d’amour, même à son insu.

Cette conception de l’amour est soutenue par Ibn Arabî comme la seule qui vaille : sans l’intention qu’en se rapprochant de son conjoint, l’homme et la femme cherchent à se rattacher, à reformer l’unité dont les deux procèdent, en tant que deux parties séparées aspirent à se recoller. Toute autre conception est inférieure, instinctive, voire bestiale ; ce qui a échappé à Luxenberg.

C’est en cela que consiste le culte du Beau : aimer de tout son esprit, de toute son intelligence.

 

Les données traditionnelles au sujet des houris tendent à nous enseigner qu’il s’agit d’êtres qui ne se satisferont jamais d’un désir exclusivement charnel qui lui relève de la partie animale en l’homme. Il s’agit bien de l’union à un principe de beauté par excellence. D’ailleurs dans l’au-delà, la chair cède la place à l’esprit. Ce qui explique aussi que les animaux ne sont pas mentionnés parmi les êtres du Paradis, car ils représentent sans doute des aspects terrestres de l’homme.

 

C’est pour cela que, dans la sourate 2 : 25, les ‘’azwâj’’, les éléments des couples, sont qualifiés de purs (mutahhara). Ils sont purs par essence, par conséquent, ils sont aussi ‘’purificateurs’’ de leurs partenaires ou époux. L’impureté est de ce monde, parce que les hommes et les femmes sont tout le temps exposés à ses vecteurs. Dans l’au-delà, les couples sont purifiés de tout souci ressemblant à ceux de ce monde. Il n’y a aucune impureté liquide ou solide. Cela implique l’absence de périodes pour les ‘’femmes’’, et d’autres choses correspondantes chez les hommes.

Donc, si dans ce monde, l’union sexuelle donne lieu à l’ablution totale (ghusl), ce n’est pas parce qu’elle est impure en elle-même, c’est plutôt parce qu’elle est éphémère, avec la fin du rapport, où les amoureux rechutent dans leur statut terrien, impur. C’est parce qu’ils retournent à leur état antérieur qu’ils sont astreints à la purification par l’eau.

Or dans l’au-delà, cette union sera absolue, éternelle. Il y aura sans cesse ‘’pénétration et retrait’’ selon Ibn Arabî. C’est l’état paradisiaque par excellence. On est loin ici aussi des fantasmes où se situe le souci de Luxenberg de libérer le Coran de l’horreur de parler de l’amour pour les houris dont il s’offusque.

 

L’enfant qui nait de cette union éternelle est la connaissance, une élévation dans les degrés du voyage du retour qui ramènera à terme les êtres élus à la jonction avec le Principe. Il est normal que ‘’l’enfant’’ ne soit pas un être de chair, parce qu’encore une fois, dans l’au-delà les esprits sont visibles, alors que Les corps sont ‘’invisibles’’, à l’inverse de ce qu’il en est ici-bas. On ne peut donc générer que des pensées, des connaissances de plus en plus intenses, de plus en plus proches du Principe inimitable, jamais égalé.

Il n’y aura jamais de chute mais seulement une élévation vers les sommets de l’être, un être de plus en plus intensifié, de plus en plus lumineux. Notons le personnage de Joseph = lumière.

 

Ce n’est donc pas un thème spécifique à l’islam, mais c’est l’islam qui l’expose le mieux sans détour, sans fausse pudeur.

L’Occident chrétien qui a élevé le célibat comme un idéal au point de causer sa propre perte…, a fini par faire sa ‘’révolution sexuelle’’… récemment. Le célibat est une voie que l’islam n’a jamais exaltée, ni même conseillée.

Alors au lieu de lui reconnaître le mérite, on décide de prendre ‘’les houris en dérision’’. Cette dérision n’aura bientôt plus de raison d’être.

 

Pourtant, les commentateurs du Coran ne s’attardent jamais sur ce sujet qui n’obsède que les occidentaux qui fantasment sur les belles orientales. Ce complexe est en réalité une séquelle de l’esprit colonialiste qui a subjugué les occidentaux jusqu’à une date récente.

Les commentateurs musulmans qui ne tombent jamais dans ce piège, interprètent presque toujours dans un sens métaphorique, métaphysique. Il est fait peu de cas du sujet parce que d’autres versets assurent que les croyants auront tout ce qu’ils désirent au Paradis, et qu’ils pourront même adresser des réclamations. Par conséquent, s’il ne s’agissait que de rassurer les croyants qu’ils auront aussi quelque chose de l’expérience la plus intense en ce monde, qu’est la relation amoureuse, d’autres versets que ceux relatifs aux ḥûr al-‘în suffiront pour cela.

 

Il faut comprendre dans son sens le plus profond, le plus sérieux, l’expression ‘’Adam connut Eve’’, pour commencer à comprendre ce dont il s’agit ici.

 

L’autre question : pourquoi n’a-t-il pas tenté d’interpréter (oublie-t-il que ce qui fait la force de tout texte sacré c’est sa capacité à générer sans cesse des interprétations nouvelles) au lieu de chercher un sens littéral : que signifierait la promesse du raisin blanc rappelée en plusieurs versets dans des contextes où sont mentionnées ‘’les fruits’’, alors que le raisin est déjà un fruit ? En affirmant que les houris ne sont que ‘’raisin blanc’’, il se devait de montrer ( ou au moins de s’interroger) en quoi le raisin blanc apporte un sens meilleur au Coran, j’entends meilleur que les houris qu’il a disqualifiées pour ‘’sauver l’honneur du Coran’’. Il s’est rendu lui-même une victime collatérale de l’étymologie syriaque.

La réponse banale serait de dire : c’est naturel : Luxenberg considère le Coran comme n’importe quel texte. Il ne pense pas que le Coran puisse avoir des significations ésotériques. C’est son droit. Sauf que ce ‘’droit’’, s’il l’invoquait le disqualifierait automatiquement de tout sérieux en tant que scientifique.

En réalité, même s’il s’était agi d’un texte ordinaire, un interprète aurait relevé le fait que le ‘’raisin blanc’’ se présente comme une promesse majeure du Coran, et chercherait à en savoir la raison. A moins d’être obnubilé par le seul désir de nier la réalité des houris coraniques ou de briller faussement auprès de ses collègues[2].

 

Le paradis de l’islam est beaucoup plus élaboré littérairement, donc beaucoup plus tangible et mieux structuré métaphysiquement que le paradis du christianisme.

Par exemple, on sait qu’il n’y a pas d’effort donc pas de fatigue, donc pas besoin de repos, ni de récupération.

Il n’y a pas d’ennemis ni de méchants, donc pas de guerre, pas de jalousie. On vit dans un monde absolu fait d’amour pur.

Quand on désire une chose, ce désir suffit pour la faire venir à l’être. Un pouvoir créateur est délégué par Dieu aux hommes. Pour cela, ils ne se servent pas de l’impératif ‘’sois !’’, qui est réservé à Dieu, mais de l’expression ‘’bismi Allah’’, au nom de Dieu. Toutes ces affirmations reposent chacune sur des versets coraniques ou des traditions.

 

Il n’y a ni devoir ni contrainte. Tout ce que l’on y fait est fait par amour.  Les passions de ce monde sont souvent trompeuses. Elles n’existeront plus. Il n’y a rien à craindre des coups de l’ennemi, parce qu’il n’y aura pas d’ennemi : ni satan, ni souffrances, ni douleur, ni maladie (awṣâb), ni mort. On n’y entendra que salam salam ! paix paix ! (sourate 56)

 

Tout cela, Luxenberg le savait ou aurait dû le savoir. Il croyait asséner un coup mortel à une conception éminente de l’islam, en la réduisant à ce qu’elle est dans sa tête, à la mesure de son horizon philosophique. Il écrit :

« Quiconque lit le Coran en y comprenant un tant soit peu quelque chose ne peut s’empêcher, à ce passage (verset sur le houris), de se prendre la tête dans les mains. Ce n’est pas la seule ignorance qui est ici responsable. Il faut déjà une bonne dose de culot, dans un livre saint, ce qu’est le Coran, pour s’imaginer quelque chose de tel et pour le prêter au Coran. Nous voulons donc nous efforcer de restituer sa dignité au Coran[3] » (Page 249 et voir aussi 225, 259, 275).

Je lui réponds : ‘’Quittez ce souci, monsieur Luxenberg, le Coran n’a pas besoin que vous vous tourmentiez pour sa dignité. Si vous pouviez faire l’effort de comprendre de quelle hauteur s’exprime le Coran, vous comprendriez que de votre perspective de grenouille dans la vallée, vous ne pourrez jamais voir ce que contemplent les aigles ! Vous êtes comme un enfant qui serait témoin des ébats de ses parents, et qui s’imaginerait que son père fait du mal à sa mère, ne sachant pas que leurs ébats sont parmi les meilleurs moments de leur existence, et qu’il en est lui-même le fruit.

Essayez plutôt de rendre leur dignité aux hommes ! On ne peut pas mesurer le paradis de l’islam à l’aune des critères fixés par des esprits faibles et psychotiques.

Ressaisissez-vous ! Souciez-vous de vous-même ! Ne confondez pas les versets coraniques avec les fantasmes de l’occidental moderne.

 

Il s’est contenté de mentionner quelques éléments, puis s’est hâté de les  zapper. Il ne savait pas que sans exposer au minimum la doctrine musulmane du paradis, ses combinaisons étymologiques seraient dépourvues de sens, de finalité. Est-ce que sa thèse allait mettre fin aux croyances des musulmans ? Le Coran est une mer que ne saurait pas troubler un jet de caillou. C’est un océan de bonté, de rahma divine. On ne traite pas le texte coranique comme un texte de littérature générale.

 

Les fruits du Jardin du Paradis sont inépuisables, inentamables. En outre, nous précise la tradition, lorsque vous en cueillerez un, il sera remplacé immédiatement si vite que vous penserez que c’est le fruit même que vous venez de cueillir. L’arbre reste égal à lui-même, car nous sommes dans un monde absolu où le changement n’est pas induit par les mêmes règles que dans ce monde.

L’image qui convient le mieux, me semble-t-il, pour illustrer ce propos est celle que permet la technologie de l’internet. Lorsque vous envoyez  d’un seul clic, un mail d’encouragement ou de félicitation à 70 de vos contacts, vous avez bien ajouté une information à chacun d’entre eux qui ouvrira le mail. Pourtant votre mail est toujours présent chez vous dans votre ordinateur, en plus d’être récupérable dans la boite des mails envoyés. Paradoxe : Vous avez donné à tout le monde, mais ce que vous avez donné est resté chez vous. Imaginez que vous ayez 100 euros et que vous les donniez à 70 personnes, alors qu’ils sont toujours dans votre poche ! C’est le sens d’un hadith célèbre : « les dons abondants de Dieu ne Le rendent que plus généreux encore ! » lâ tazîduhu kathratu al-‘atâ’ illâ jûdan wa karaman.

Ce qui est virtuel, c’est la technologie du transfert, mais l’information envoyée, —le contenu du mail—, est bien réelle. Le mail transmis a bien fait le bonheur réel de vos 70 contacts.

 

Symbolisme du grain de raisin

 

Le grain de raisin dont on aperçoit le noyau par transparence est aussi un symbole, une image de la sveltesse d’un corps féminin. Cela se comprend aisément, et cela n’a pas besoin de citation de tradition prophétique.

En tout cas, Luxenberg aura beau dire, il ne parle que pour lui-même. Il ne révèle que son conditionnement aux non-valeurs qui ont pollué ce monde. La jouissance donnée par les houris n’a rien à voir avec ses fantasmes ni ceux de ses semblables. Il n’en a d’ailleurs pas conscience.

Même s’il ne s’agissait que d’un grain de raisin, Dieu en ferait un univers illimité dans lequel des générations d’immortels vivraient sans jamais être contraints de prendre des mesures pour limiter la démographie croissante. Après tout, la Terre (appelée Gaïa, Gé), elle-même qui ressemble, vue de loin, à un grain de raisin, a bien été mariée à Ouranos, par la mythologie grecque. Et sur ce minuscule grain de raisin de l’univers, vivent des hommes qui ambitionnent de conquérir le savoir des dieux.

 

C’est la langue coranique qui doit servir de référence à l’étude de la langue syriaque. C’est par elle que l’on peut étudier et mesurer l’évolution du sens.

 

L’état virginal sans cesse renouvelé des ‘’houris’’ signifie un état non manifesté, ou un état de manifestation informel. Le croyant qui les ‘’déflore’’ accède à chaque fois à des connaissances nouvelles inédites qui lui sont révélées exclusivement. Les hommes éprouvent de la jouissance dans la connaissance. Nous voyons ainsi la nécessité de traverser le sens apparent du verset pour entrer dans le sens initiatique. Nous ne sommes pas dans la bestialité et la luxure aveugle, ni même dans la sexualité ‘’normale’’, telle qu’on la connaît. Ce n’est peut-être rien de ce que l’on désigne dans ce monde par sexualité.

 

Un sens insoupçonné de ḥûr al-‘în :

Il existe au paradis du Coran différentes récompenses selon les niveaux de réalisation atteints ici-bas. Par conséquent, il y aura des grades distinguant les croyants, tous citoyens du Paradis. Il y aura des rois, des ministres, et des sujets ainsi que des sujets de sujets, mais tous heureux. Parce que ces degrés n’ont rien à voir avec ceux de ce monde, où souvent les rôles sont inversés, usurpés, et où on se sert des positions pour faire le mal.

Cette hiérarchie correspond à celle des degrés de la hiérarchie réelle correspondant à ceux des degrés de la procession de l’être, ou peut-être à ceux des castes de l’hindouisme, telles qu’elles devaient être à l’origine, comme modèle régulant l’ordre cosmique, et non comme elles servent à entretenir un désordre terrestre. Le sens secret des castes ignoré dans ce monde sera révélé.

Cette hiérarchie paradisiaque n’est pas celle de l’oppression, mais celle du mérite selon des critères qui ne se mesurent pas au pouvoir détenu dan ce monde ni à l’immensité de la richesse accumulée…

Comme cette hiérarchie sera réalisée au paradis, chacun sera heureux de son sort, parce qu’être gouverné par un roi juste est le bonheur même auquel ont aspiré tant de peuples dans cette vie. Personne ne se plaindra, parce que chacun connaîtra parfaitement le degré où il se trouve,  sa fonction cosmique, dans ce monde, aussi modeste sera-t-elle, mais qui lui vaudra la récompense divine, et d’échapper aux flammes de l’enfer. Dans ce dernier, également, il y aura des niveaux, des degrés de châtiment, le plus dur sera situé au plus bas de l’enfer et s’appelle al-darak al-asfal, que Dieu nous en préserve.

La hiérarchie paradisiaque correspond à la hiérarchie éternellement fondée par la volonté de Dieu, et connue de Lui Seul, et en vertu de laquelle chaque être humain possède une destinée et une fonction qui ne lui seront révélées en partie que dans l’au-delà. Pour nous exprimer avec une image moderne, chaque être humain est comme un code-barres qui dissimule et révèle l’identité et les propriétés d’un article. Ce code-barres humain détermine le niveau qui revient à chacun dans l’ordre cosmique, en fonction de ses prédispositions éternelles contenue dans l’essence de chacun. Ibn Arabî l’appelle ‘ayn thâbita, au pluriel a‘yân thâbita, les essences immuables[4] ou éternelles, c’est-à-dire la connaissance que Dieu a de chaque créature, de par Sa science éternelle, en d’autres termes, comment Dieu nous connait de toute éternité, car Sa science n’a pas de commencement et n’a pas de fin.

Ainsi, cet état de ‘ayn thâbita qui est celui de tout être nous rappelle un sens que Luxenberg ne pouvait pas soupçonner.

Avec cette idée en tête, je propose donc une interprétation nouvelle de ḥûr al-‘în, comme signifiant des ‘’celles qui sont blanches par essence (essences blanches)’’, comme on dit une page blanche, qui reste à écrire, ou qui a été blanchie suite aux pardons obtenus, donnant aux élus la possibilité de contempler d’eux-mêmes leur destinée, d’après les informations qu’ils auront reçues en découvrant ce qui leur a valu d’entrer au paradis.

Ainsi zawwajnâhum bi-ḥûr al-‘în serait ainsi compris : Nous les ferons s’unir à leur aptitude éternelle, qu’ils ont ignorée en ce monde. L’homme découvrira son essence profonde, son être tel qu’il est dans la science divine, ou proche de cet état. C’est un état de paix où l’âme cesse de se dresser devant son Seigneur. Cette interprétation, comme celles que donnent les métaphysiciens musulmans, respecte la règle de l’interprétation, à savoir expliquer autrement un sens premier qui consiste bien dans les houris.

A propos du verset 4 : 82 :

« Ne méditent-ils donc pas sur le Coran? S’il provenait d’un autre qu’Allah, ils y trouveraient certes maintes contradictions! », dit le verset 82 de la sourate al-Nisâ (les Femmes).

A la page 250 de la traduction anglaise de son livre, Luxenberg explique ce verset en ajoutant entre parenthèses (en comparaison avec les Ecritures) après maintes contradictions.

« Ne méditent-ils donc pas sur le Coran? S’il provenait d’un autre qu’Allah, ils y trouveraient certes maintes contradictions! (en comparaison avec les Ecritures) »

On se demande d’où est-ce qu’il a tiré cette extrapolation, en gras dans le texte. Il n’y a aucune comparaison ici.

Le Coran dit simplement que s’il provenait d’un autre qu’Allah, les gens y trouveraient beaucoup plus de contradictions. Ce qui ne veut pas dire qu’il y ait des contradictions dans le Coran. Mais les gens qui différent par nature en intelligence trouveraient beaucoup plus de ce qui serait des contradictions à leurs yeux. Ce qui est normal parce que les esprits des hommes sont faibles, ils ont tendance à toujours porter des jugements même sur ce qui dépasse leur entendement, à y déceler des contradictions dans tout ce que leur esprit ne peut pas concevoir. Mais le Coran étant clair, les hommes qualifiés y relèvent peu de contradictions, et certains qui font partie de l’élite, n’y trouvent aucune. Ce verset fait l’éloge de l’excellence du Coran. Pas ce que s’imagine Luxenberg.

Quant aux Écritures, je m’abstiens de porter un jugement à leur sujet ; le Coran nous invite à rester courtois envers les Gens du Livre.

A propos du verset 43 : 70

« Entrez au Paradis, vous et vos épouses, vous y serez fêtés ».

S’appuyant sur les traductions de ce verset, Luxenberg s’évertue à nous montrer que les épouses du Paradis ne seront pas autres que les épouses de ce monde.

Pourtant, il aurait du faire au moins les remarques suivantes : 1) si tel est le sens du verset, cela implique que l’ordre d’entrer au Paradis (Entrez !) est donné simultanément aux hommes et à leurs épouses de ce monde.

Dans ce cas, il faudrait admettre que tout croyant dans ce monde sera forcément accompagné de son épouse au paradis, même si celle-ci n’est pas méritante, et aussi que toute femme croyante méritante sera forcément accompagné de son époux même si ce dernier fut loin d’être parfait.

2) que si l’ordre n’est donné qu’aux hommes, ces derniers auront la possibilité d’y entrer avec leurs femmes. Mais alors que ferait-on des musulmans qui n’étaient pas mariés, et des musulmanes qui ont tant mérité dans ce monde sans jamais trouver de maris ? Cela semble puéril. Que dire à tous ces musulmans et ces prêtres chrétiens qui ‘’ont renoncé à la chair’’ en espérant l’avoir en récompense dans l’autre monde[5] !

Or le verset ne dit rien de cela. C’est la faute aux traducteurs. Le texte arabe dit ‘’entrez au Paradis’’ puis ‘’vous (croyants et croyantes) retrouvez vos azwâj (éléments de couples correspondant, hommes ou femmes), afin que vous jouissiez des lieux paradisiaques. »  L’homme sera récompensé par une ou des ‘’épouses’’ paradisiaques, et la femme sera récompensée par un ou des ‘’époux’’ paradisiaques.

Dans le verset précédent (69), le Coran parle des ‘’muslimûn’’ (musulmans) qui toujours sous-entend et inclut les musulmanes (al-muslimât).

C’est parce qu’on comprend le Paradis comme une reproduction à l’identique de ce monde, sans les méchants, que l’on s’imagine que les relations hommes-femmes seront calquées et gérées sur le même modèle que l’ici-bas. La jouissance ne sera pas la même non plus, y compris la modalité de son obtention. Ce qui importe, c’est que les gens y vivront infiniment mieux que dans ce monde, et dans l’éternité, sans jamais s’ennuyer. Comme les habitants du Paradis ne se reproduiront pas comme dans ce monde, on peut imaginer que même les organes de la reproduction ne seront pas les mêmes. Nous avons tendance à trop projeter nos obsessions et fantasmes de ce monde sur le Paradis. Il suffit de croire que ce dernier sera le lieu d’un bonheur parfait. C’est parce qu’Adam et Eve ont voulu savoir plus que Dieu leur a révélé leur nudité. Ils auraient pu vivre dans la jouissance éternelle, s’ils n’avaient pas cédé à la tentation. Ils ont découvert leur nudité (le secret de leur union) ; cela leur fit honte, et se couvrirent avec les feuilles des arbres du Paradis. Cela leur a permis au moins de savoir que c’est leur unité première qui faisait leur bonheur. Pour l’avoir brisée, ils ont été évacués du paradis pour venir séjourner sur Terre, séparés, l’un étant créé de la côte de l’autre.

On comprendra que c’est ce monde-ci qui est la métaphore de l’autre monde. La réalité, le réel sera infiniment supérieur à cette ombre, cette semblance terrestre. Le vin de ce monde ne sera rien au regard du vin du Paradis, le raisin de ce monde aussi. La beauté de ce monde ne sera rien au regard de la beauté du Behesht-e barîn, al-jannat al-a‘lâ ! Même si vous pensez que vous êtes indigne du Paradis, rappelez-vous que le Prophète (S) nous encourage à prier audacieusement Dieu de nous accorder le Paradis suprême, al-firdaws al-a’lâ.

Par contre, on peut comprendre, – et Dieu est plus savant–, que les ḥûr al-‘în ne soient la ‘’récompense’’ que pour une catégorie de croyants et de croyantes, à savoir al-Sâbiqûn, qui désigne les meilleurs croyants et croyantes de chaque époque. D’autres beautés sont prévues pour d’autres catégories de croyants et de croyantes, comme on le verra.

 

[1] Ibn Arabî, Le Livre des Chatons des Sagesses, tome second, traduction du Fusûs al-Hikam, avec notes et commentaires par Charles-André Gilis, pp.693-694, Editions al-Bouraq, Beyrouth, 1419/1998

[2] Je critique l’auteur de l’ouvrage, pas la personne qui a sans doute eu le temps de se réviser, de changer d’opinion. C’est ce que je lui souhaite en tout cas.

[3] Rémi Brague, Le Coran : sortir du cercle ? (Critique n° 671, avril 2003, pp.232-251), article puisé dans la ressource internétique.

[4] L’expression remonte en fait aux premiers théologiens de l’islam, les mutazilites, qui s’en servaient pour désigner l’état des créatures dans la science divine, telles qu’elles sont connues de Dieu Seul.

[5] Citation d’un auteur chrétien du 4ème siècle, Ephrem le Syriaque, donnée par Luxenberg, page 258, voir note 12, supra.

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Omar BENAISSA - dans CRITIQUE de textes