29 décembre 2019 7 29 /12 /décembre /2019 20:54

 

L’AVENEMENT DES ARABES

 

Au 6ème siècle, la Berbérie s’était soulevée d’ouest en est contre Byzance, avec des chefs dont les noms sont mentionnés par Corippe (Iaudas, ??), mais elle subit un revers qui sera aggravé par une peste plus meurtrière. On eut beau invoquer le dieu Gurzil et exhiber son effigie en forme de taureau, rien n’y fit.

Lorsque les conquérants arabes arrivent à la fin du 7ème siècle, les berbères qui n’avaient pas eu le temps de se remettre des stigmates byzantines, et fidèles à leurs habitudes de se mobiliser pour défendre leur terre, résistent longtemps, le temps de distinguer les intentions des envahisseurs qui se disant soumis à Dieu, musulmans, se comportent quand même avec arrogance et mépris. Contrairement à ce que s’imaginent certains, les Arabes ne sont pas arrivés, comme des combattants de Dieu. Ils déferlaient en vagues successives subissant beaucoup de défaites, mais aussi semant la désolation dans les villes et les campagnes. Ils ont massacré des centaines de milliers de berbères, au témoignage des sources écrites en arabe. Ces dernières ne font état d’aucune tentative de propagation pacifique de la foi musulmane[1].

Il n’est question que de quête d’or et d’autres richesses, de butin de ce monde  et rien de l’autre monde.

Les Berbères avaient du mal à comprendre les intentions des envahisseurs. C’est pourquoi, à ce qu’on dit, ils ont abjuré à plusieurs reprises la nouvelle religion. Au fur et à mesure qu’ils découvraient d’autres musulmans plus sincères dans leur foi, ils finissent par adhérer de tout cœur à l’islam, en sachant que ‘‘ceux qui apportaient la bonne nouvelle (les arabes) ne la comprenaient pas mieux que ceux qui la recevaient’’, en l’occurrence les Berbères.

C’est pourquoi on peut affirmer sans hésitation que le combat de Kusayla fut un combat juste, de même que celui de la Kâhena.

Il faut dire que les Berbères étaient au courant des querelles de succession dans la péninsule arabique, et des allégeances tribales qui rythmaient le pouvoir politique.

En particulier, après la mort, à Médine, du deuxième calife, les berbères sont restés dans l’expectative ne voyant plus venir les incursions arabes. Ils se demandaient ce qui pouvait se passer dans la lointaine Médine. Omar ibn al-Khattâb avait en effet pris la décision de suspendre net la conquête de la Berbérie, pas par pitié pour les berbères, mais parce qu’il s’était rendu compte que les conquêtes avaient dévoyé les mentalités des jeunes soldats, qui étaient attirés plus par l’appât du gain que par le mérite du Paradis. Omar a donc eu raison de qualifier ‘‘l’Ifrikiya, de diviseuse, mufarriqa’’.

Uthmân qui avait prêté serment de suivre l’exemple des deux premiers califes, va quand même prendre comme première mesure, celle d’ordonner la reprise des incursions en Afrique du Nord. Il est vrai que ‘Omar avait stoppé la conquête, en gardant l’Egypte où il avait nommé Amr ibn al-‘Ass, comme gouverneur, et qu’il s’était promis de maintenir cette suspension jusqu’à son dernier souffle.

Uthmân aurait été mieux inspiré s’il avait patienté quelques années, et se contenter d’envoyer des prédicateurs non armés. Mais, comme les politiciens modernes, il avait une urgence. Il ne tenait pas compte du calendrier des autres mais seulement du sien. Il voyait le monde comme son ennemi, alors que s’il voulait convertir, et rien que convertir, il aurait eu une attitude plus humble, plus patiente, plus disposée envers les futurs musulmans.

Le pouvoir médinois subissait trop de pression de la part des jeunes gens en âge de combattre qui s’impatientaient d’aller à la conquête dans le but de ramener du butin. Il fallait déplacer un problème interne dans l’espoir qu’une solution lui sera trouvée plus tard. Uthman exporte ses problèmes aux provinces nouvelles de l’Ifriqiya et de l’Irak.

Il avait hâte d’éloigner de Médine les turbulents jeunes loups qui avaient pris goût au gain facile, aux butins immenses, et qui trépignaient d’impatience de retourner à la conquête des riches territoires byzantins. Or Uthmân ne demandait pas mieux que de disposer pleinement de ses pouvoirs à Médine sans être perturbé par des agitateurs, qui se livreraient à des actes répréhensibles dont ‘Umar avait eu le temps et le génie de mesurer la gravité. Après 10 ans de règne, il avait réalisé et perçu les conséquences de cet enrichissement soudain d’un peuple habitué à vivre dans la modestie. Il s’était promis d’apporter les changements nécessaires. ‘‘Si je vivais jusqu’à à l’année prochaine…’’ Le destin ne lui permit pas de mener à bien cet espoir…

La solution ‘Uthmanienne fonctionne bien dans un premier temps, mais après des années, cette mesure a eu pour corollaire de renforcer le pouvoir des provinces de l’Egypte (dont dépendait l’Afrique du Nord) et celle de l’Irak. Médine demandait de plus en plus de contribution, et ‘Uthman qui n’hésitait pas à pratiquer le népotisme va mécontenter beaucoup de gens dont ses propres agents et représentants. Ce sera la cause de son impopularité croissante. Ce sera aussi le début de ses ennuis qui lui vaudront la perte de sa vie, sans personne pour lui venir en aide face à la vindicte des révoltés.

Les Arabes ont contaminé les Berbères avec leurs querelles intestines, chaque faction estimant avoir la légitimité pour le pouvoir. S’ils savaient parfaitement en quoi portaient les arguments des uns et des autres dans la grande fitna, les berbères vont mettre du temps avant de réaliser que la religion nouvelle qu’on prétendait leur apporte était déjà trahie par ses propres enfants. On avait désobéi au calife, et on avait l’impudence de défier le calife élu de Médine.

Après l’assassinat de ‘Uthmân et la discorde (fitna) qui s’en est suivie, les Arabes cessèrent de se manifester, car à Médine le pouvoir ne peut plus commander quoique ce soit. Les musulmans sont déchirés par une guerre fratricide. Les ‘‘conquêtes’’ marquent une pause. Pendant ce temps, les Berbères ne savaient pas à quoi s’en tenir. Les Arabes auraient-ils renoncé ? Pourquoi ne reviennent-ils plus nous piller ? Ont-ils eu des remords ? En réalité, les rangs des ‘’musulmans de la première heure’’ étaient déchirés, et se faisaient la guerre entre eux et n’avaient pas le temps de revenir à la charge contre les Berbères.

Lorsque le rebelle Muawiya a pris définitivement le pouvoir, les troupes arabes sont retournées à leurs habitudes de rapine avec plus de hargne. Ils vont se rattraper, parce que le chef qui règne à Damas, a besoin de beaucoup d’argent.

Lorsque Oqba ibn Nâfi, envoyé par Yazid ibn Muawiya, arrive en Afrique du Nord, est en mission pour écraser les berbères et les piller. Les textes que nous proposent les chroniques écrites en langue arabe, ne font cas d’aucune information relative à l’islamisation. Mais ne parlent que de trésors emportés en Egypte et de là en Syrie. On sait comment Moussa ibn Nosayr, gouverneur de l’Afrique du nord, a fini par être exécuté, avec sa famille, par un omeyyade fou d’apprendre qu’il s’était servi sa  part sur les trésors ramenés de l’Andalousie par Târiq ibn Ziyâd. C’était vraiment la ruée vers l’or. Et personne ne parlait d’islam.

On dit que les berbères ont abjuré la foi musulmane à 12 reprises. Il en est qui voudraient les faire passer pour des athées et des impies réfractaires, des païens insoumis. Il n’en est rien. Il faut comprendre que lorsque ceux qui sont censés venir enseigner la nouvelle foi, ne la possèdent pas eux-mêmes, on a du mal à comprendre ce qu’il faut faire. Les conquérants arabes ne se distinguaient pas des anciens conquérants romains ou vandales ou d’autres ennemis ; ils ne viennent que pour piller.

Mais les Berbères se sont informés par les voyageurs venus d’Orient. Ils ont réalisé qu’ils avaient eux aussi le droit de choisir la forme d’islam qui leur offrait le plus, et qui leur était la plus avantageuse. Ils avaient compris que les musulmans s’étaient divisés en kharidjites et en chiites, opposés au pouvoir omeyyade.

Ils se feront kharidjites pour se débarrasser des Omeyyades, puis chiites fatimides pour éliminer la dynastie arabe des banu Aghlab qui s’installaient en vainqueurs, prenant leurs aises, se livrant à la débauche et à la boisson.

Ils sont décidés à prendre en main leur destiné. Quand enfin, ils purent susciter des pouvoirs et des dynasties berbères, ils se mirent à imiter les Arabes.

Omar BENAISSA

 

[1] L’auteur de ces lignes qui est un musulman, pense que ce n’est pas servir l’islam que de propager des informations fausses et trompeuses, contraires à la vérité  historique, même au sujet des premiers musulmans. Il ne s’engage que pour ce qui relève de la prédication prophétique, et rappelle que c’est presque la coutume que tous les prophètes de Dieu ont été trahis de leur vivant ou après leur mort, par leurs peuples. La seule exception est celle du prophète Yûnus, Jonas,

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère
28 décembre 2019 6 28 /12 /décembre /2019 14:50

 

LA GUERRE DE TROIE

Tout ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui  n’est que le prolongement de la guerre de Troie : un conflit opposant une coalition de tenants de la force, de la ruse et de l’empire, à des hommes aspirant à vivre dans la dignité et l’honneur. Une enquête sur l’image de la guerre de Troie révélerait qu’elle fut le point de départ de plusieurs ‘’mythologies’’ dérivées.

Troie se trouvait en Asie, sur la partie du détroit des Dardanelles, faisant face à la Grèce. Or l’Asie mineure, comme la Phénicie, relevait du domaine d'influence perse. Et la destruction de Troie par la coalition grecque fut la raison originelle des dissensions entre la Perse et la Grèce, comme l’explique Hérodote.

La guerre de Troie trouvera sa suite sur le terrain de la Berbérie et opposera les Phéniciens alliés aux berbères, aux Romains. Carthage et Rome sont pourtant toutes les deux à l’origine potentiellement des nouvelles Troie. Si Carthage le devint en premier, Rome finira par trouver en Virgile (né en 70 avant J.-C.) le chantre d’Enée, prince troyen qui parvint au terme de périlleuses péripéties en Italie, guidé par les dieux, pour assurer une terre d’asile aux survivants rescapés et témoins de la chute de Troie. Même Coryppe, écrivant au 6ème siècle, rappellera avec orgueil l’ascendance énéenne des Romains. Rome qui ignora quelque temps ses origines, et prêta l’oreille au slogan de Caton : delenda Carthago !, cette Rome là avait mûri et était redevenue consciente de sa mission.

Honorées par les dieux, ces deux Cités sont vouées à la haine réciproque. Et elles vont en découdre, non plus dans la mythologie mais dans l’histoire. La guerre est téléportée sur un terrain qui reste méditerranéen, celui de la Berbérie, et une distribution des rôles où les Romains joueront celui de la ligue achéenne. Carthage jouant le rôle de Troie. Les berbères unis aux Mèdes et aux Arméniens sont les alliés de Carthage jusqu’à la scène finale où les alliances se défont, à l’avantage de Rome, avec notamment la ‘‘trahison’’ de Massinissa.

Pour commencer, Hérodote d’Halicarnasse (c. 484 - 425 avant notre ère) nous apprend qu’une partie des habitants de la Berbérie se disait d’origine troyenne. Le ‘’père de l’histoire’’ nous informe que ces hommes étaient appelés Maxies, ce que certains ont interprété comme la première mention des imazighan, le nom que se donnent aujourd’hui tous les berbères. Leur origine troyenne explique leur installation dans ce territoire, que les Romains vont appeler la Numidie, au voisinage et dans le prolongement du territoire des Carthaginois, et leur longue alliance avec ces derniers qui les avaient précédés de peu dans cette nouvelle terre. La scène berbère sera complétée par l’arrivée d’autres peuples, les persans et les arméniens, venus avec la fameuse armée d’Hercule dont a parlé Salluste. Les nouveaux berbères, anciens troyens vont naturellement nouer une alliance avec Carthage. C’est encore Hérodote qui complète le décor amazigh, en y ajoutant les mèdes et les arméniens. Comme Homère ( ?) dit aussi que les amazones se disaient descendantes des Troyens, on peut penser qu’il s’agirait d’une redite, si les amazones ne sont que les amazigh, l’augmentatif –on, à la fin de amazon signifiant les meilleurs, les grands guerriers des amazighs. La ville de Mazouna en Algérie doit certainement avoir un rapport avec l’amazighité. Le suffixe -oun qui a subsisté en espagnol, sous la forme de -on comme un augmentatif pourrait être d’origine berbère. Quant au –a final, il indique la forme du pluriel arabe que l’on retrouve dans beaucoup de noms berbères arabisés, comme le singulier a-mazûn, pluriel imazunan.que les arabes ont transformé en Mazuna.

Après la guerre de Troie, certains survivants parmi les vaincus ou les vainqueurs rentrent chez eux et d’autres ayant perdu leur chez-soi cherchent un asile là où la providence y pourvoirait.

 

DE L’ILIADE A L’ENEIDE

 

Que l’Iliade et l’Odyssée aient une suite logique en l’Énéide, témoigne de ce que, aux yeux de beaucoup, c’est Troie qui symbolise la grandeur, le bon modèle pour les hommes. Cela témoigne aussi que Troie vaincue n’avait pas été anéantie. Il existait une forte conscience de la nécessité de créer une nouvelle Troie, comme si elle était indispensable aux hommes, à l’humanité. Cette Troie nouvelle a d’abord semblé être Carthage, car c’est d’abord vers elle qu’Enée dirige ses nefs. Mais il ne s’y attarde pas. Après quelques péripéties, il prend la route de l’Italie. C’est là que par le fracas des armes, les Troyens atteignent leur but, après être passés par des épreuves initiatiques qui les ont conduits au succès. Effectivement leur Odyssée a précédé leur Iliade. Car Troie détruite par les armes ne peut être reconstruite que par les armes au service de la sagesse.

Alors qu’Ulysse prend le chemin, hélas long et semé d’embûches, du retour à son pays, son adversaire Enée, lui, prend le chemin encore incertain qui le conduira à trouver asile et lieu sûr pour la survie de Troie à travers sa troupe de compagnons. On connait le tableau peint par Charles-André, dit Carle Vanloo (1705 – 1765) composé en 1729 et intitulé Enée portant Anchise, son père, une scène qui reproduit le moment où le prince troyen s’apprête à fuir Troie en flammes[1]. Ce prénom d’Anchise (prononcé Ankîz en français) a survécu chez nous, en Algérie, comme la forme de diminutif de ‘Anka, phénix symbole de la Phénicie, qui est ‘Anqîs, qui a qualifié notamment un chanteur chaabi, le regretté Boudjemaa al-Anqîs.

Mais Ulysse le rusé, va devoir faire face à la ruse et à la vindicte des dieux et des éléments. Cette fois, il va désespérer de retrouver son trône d’Ithaque où l’attend Pénélope, son épouse fidèle et modèle de patience, qui ruse elle aussi pour retenir l’empressement de ses prétendants, certains de la mort d’Ulysse. Sa vie devient un mauvais rêve, un cauchemar de plusieurs années destiné sans doute à le purger de son péché mortel d’avoir attenté à l’honneur des troyens, de s’être allié à des inconscients comme Agamemnon et Ménélas, son frère. Quant à Achille, il mourut à Troie même, atteint à son point faible, son fameux talon, par une flèche tirée par Alexandre fils de Priam et frère d’Hector. Alexandre appelé aussi Pâris, est l’homme qui fut à l’origine du prétexte de la guerre de Troie, en enlevant la belle Hélène, la femme de Ménélas, dont il tomba amoureux. Il voulait surement se venger du rapt d’Europe par les Grecs.

Pendant qu’Ulysse se démène pour dénouer les épreuves purgatives, Enée tente de deviner les intentions célestes concernant le point de chute final de sa mission salvatrice du peuple troyen, de l’ADN troyen.

Les deux héros, l’un soucieux de retrouver le chemin pour rentrer chez lui, l’autre de trouver un domicile sûr, affrontent une situation qui est celle d’un récit initiatique[2] entamé par Homère et poursuivi par Virgile.

Ulysse paie pour avoir été le complice de ceux qui ont infligé le malheur aux Troyens, représentés par Enée, et ses tourments n’auront de cesse que lorsqu’Énée aura vu la fin des siens. Il a goûté à la victoire, mais il n’en a pas saisi le secret, et c’est à cette fin qu’il subit les épreuves.

Enée est né prince de Troie, dans la ville même où il reçut l’initiation. Il lui reste à vaincre. Il fait donc le chemin inverse d’Ulysse, vainqueur mais n’ayant pas reçu l’initiation.

Dans l’Olympe, les dieux discutent et se disputent au sujet des soutiens à  accorder à ces deux héros, avec mesure et en toute justice.

Énée s’installe d’abord à Carthage[3]. Il n’y est pas à son aise. Sa présence était peut-être gênante pour ses hôtes. Ou bien lui-même craignait-il que sa présence dans la nouvelle ville phénicienne n’attire l’attention des ennemis de Troie qui seraient tentés de venir lui donner le coup de grâce. En fait les dieux voulaient le pousser à poursuivre sa mission sacrée de trouver un lieu idéal pour fonder la nouvelle Troie ou pour brouiller les cartes à ses ennemis. On pratiquait alors la tactique initiatique de cacher le vrai nom d’une ville afin que son secret soit préservé.

En quittant Carthage, Enée lui donne la possibilité de grandir, de se renforcer. Et Rome, une fois conquise par lui pourrait servir de base arrière, d’appui ou…de leurre, de base de remplacement au cas où Carthage venait à subir l’attaque d’une coalition. En intégrant l’épopée d’un prince troyen à son inconscient collectif incarné par Virgile, Rome a inscrit dans son programme, de servir un jour l’Orient des lumières. Après s’être servi du Christianisme, elle devra bien un jour, servir l’islam. En tout, cas le souvenir de Troie est resté vivace, obsessionnel même. Néron réfractaire à ce qui n’est encore qu’un fantasme, l’exorcisera en réservant symboliquement à Rome, le même sort que celui de Troie : « Il mit le feu à la ville de Rome, pour contempler ainsi l’image de l’antique embrasement qui suivit la prise de Troie[4]» Obsession du souvenir de la cité de Priam, hantise du péché commis par les Achéens. Avec Néron, Rome a exorcisé sa haine de Troie en la faisant incendier symboliquement par son tyran le plus célèbre.

En s’installant en Italie, Enée est semblable à Moïse, ou Sargon, recueilli par son ennemi. Il y sera élevé au rang de roi, mais il ne perdra  jamais de vue qu’il est venu pour la transformer. Cela prendra du temps, et la patience des dieux s’estime en siècles et même en millénaires.

 

LES GUERRES PUNIQUES

 

Portant déjà le gène troyen, Rome insouciante et encore inconsciente de sa mission divine, songe à détruire Carthage, possible concurrente. C’était un point sur lequel un sénateur n’avait pas cessé d’insister, comme d’une urgence vitale. Delenda est Carthago, proclamait-il. Se doutait-il déjà qu’en détruisant Carthage les Romains hâteraient l’avènement de Rome en tant que nouvelle Carthage ?

Carthage est la sœur de Troie. La destruction de Troie était une nécessité vitale pour la Ligue grecque qui était aveuglée au point d’ignorer que détruire Troie revenait à scier la branche qui pouvait la sauver un jour…

La chute de Carthage a affaibli les berbères, en les privant d’une carte dont ils auraient pu se servir pour mener une politique équilibrée vis-à-vis de Rome. Ils faillirent à leur parole donnée de prendre collectivement la défense de leur allié de toujours, Carthage. Massinissa fut trompé, ou bien ne comprit pas l’enjeu grave dans lequel il s’engageait en prenant le parti des Romains. Le roi de Maurusie, Syphax, l’aurait pourtant invité à s’unir avec lui pour organiser la résistance à l’ennemi.

Lors de la première guerre punique, il y eut quand même des berbères qui étaient bien avisés de cela : un jeune officier nommé Naravas[5] quitte les rangs des Romains commandés par un certain Spendius, et s’engage aux côtés de Carthage. Au chef Carthaginois qui le reçoit, Naravas explique son geste comme un acte d’obéissance à une volonté que lui fit son père, avant de mourir. Il lui avait recommandé de se tenir toujours du côté des Carthaginois. C’est cela le devoir berbère : tenir sa parole. Polybe confirme que ce fut grâce au soutien de ce chef numide que les Carthaginois ont pu triompher des Romains, dans un premier temps.

« Il y avait alors dans l’armée de Spendius un certain Numide nommé Naravase, homme des plus illustres de sa nation, et plein d’ardeur militaire, qui avait hérité de son père de beaucoup d’inclination pour les Carthaginois, mais qui leur était encore beaucoup plus attaché, depuis qu’il avait connu le mérite d’Hamilcar. Croyant que l’occasion était belle de se gagner l’amitié de ce peuple, il vient au camp, ayant avec lui environ cent Numides. Il approche des retranchements, et reste là sans crainte, et faisant signe de la main. Hamilcar, surpris, lui envoie un cavalier. Il dit qu’il demandait une conférence avec ce général. Comme celui-ci hésitait et avait peine à se fier à cet aventurier, Naravase remet son cheval et ses armes à ceux qui l’accompagnaient, et entre dans le camp, tête levée et avec un air d’assurance à étonner tous ceux qui le regardaient. On le reçut néanmoins, et on le conduisit à Hamilcar. Il lui dit qu’il voulait du bien à tous les Carthaginois en général, mais qu’il souhaitait surtout d’être ami d’Hamilcar, qu’il n’était venu que pour lier amitié avec lui, disposé de son côté à entrer dans toutes ses vues et à partager tous ses travaux. Ce discours, joint à la confiance et à l’ingénuité avec laquelle ce jeune homme parlait, donna tant de joie à Hamilcar, que non seulement il voulut bien l’associer à ses actions, mais qu’il lui fit serment de lui donner sa fille en mariage, pourvu qu’il demeurât fidèle aux Carthaginois.

L’alliance faite, Naravase vint, amenant avec lui environ deux mille Numides qu’il commandait. Avec ce secours, Hamilcar met son armée en bataille… »

Polybe consacre plusieurs passages au récit de ce héros berbère que les auteurs français de l’époque coloniale ont négligé sans doute pour ne pas révéler le caractère antique du sentiment pro-carthaginois des Berbères. Ils ont privilégié Rome associée à la France. Les soldats et les colons Français ont toujours été appelés romains (a-rûmî, iromiyèn en berbère ou rouama selon le pluriel arabe), tout au long de la colonisation et jusqu’à nos jours. La mémoire berbère était restée vive en Kabylie, grâce au mont a-Gargar (djurdjura).On n’oublie jamais…

Quand vint la deuxième guerre punique, un conflit entre les chefs berbères les conduit à la division. Syphax ou Suphax prenant le parti des Carthaginois et Massinissa celui des Romains. Le mobile du différend étant de nature passionnelle, on ne comprend pas que Massinissa ait accordé la priorité à ses sentiments pour une princesse carthaginoise, pour vouer une haine à son rival Syphax. Les deux hommes tenaient Carthage pour un allié des berbères, et Massinissa avaient donné des prénoms carthaginois à ses enfants et petits-enfants.

Par sa politique du divide ut imperus, Rome réussit à prendre Carthage et à ordonner sa destruction définitive.

Massinissa est récompensé d’une façon peu glorieuse. On lui accordera le titre de roi (titre que se donnaient les chefs de tribus), et sans doute celui de ‘‘roi des rois’’, si nous considérons que Massinissa n’était pas le patronyme de ce chef massyle, mais un titre signifiant roi des rois, ‘‘a-mensa, singulier, imensan, au pluriel’’, a-mensa i-mensan, le roi des rois.

On sait que le titre de mensa ou mense, fut porté jusqu’au 19ème siècle par certains rois africains (Kankan Moussa) de la périphérie de la Berbérie (notamment le Mali), et qu’il a existé aussi dans les Iles Canaries.

Le temps ne tardera pas à venir où les Romains cesseront de  soutenir des rois berbères. Ils désigneront des proconsuls. A la Maurusie, à la Numidie et à Carthage, succèderont la Maurétanie Tingitane, la Maurétanie Césarienne et l’Afrique Proconsulaire. L’héritage de Massinissa sera partagé par les Romains, toujours dans la même optique de diviser pour régner. Et avec la révolte de Jugurtha s’estompera pour longtemps le rêve d’un empire berbère.

Le mot d’ordre ‘‘a-narraz wala anneknu’’ (plutôt briser que se soumettre), ne fut pas une simple parole. Il résume bien à lui seul le caractère inflexible de l’esprit berbère, jusqu’à l’entêtement.

Une tentative ultime est conduite par Tacfarinas le numide, qui engage pour la première fois des troupes Zénètes, appelés Cinithiens par Tacite, et qui n’aboutit pas. Une fois encore les berbères sont vaincus par les envahisseurs étrangers.

La pression ne baissera pas, car même divisée à son tour, Rome va au moyen de son bras oriental appelé Byzance, prendre la relève et les soulèvements berbères seront écrasés sans pitié rappelant les mille et un soulèvements des algériens contre le colonialisme français.

Mais, en Orient, la Rome byzantine va déclencher un autre scénario en s’en prenant aussi bientôt au Temple de Jérusalem, avant d’être à son tour ‘‘vaincue’’, épuisée par tant de siècles d’effort soutenu pour faire respecter le limes.

A force de diviser les peuples, Rome a perdu la recette qui lui permettait de les contrôler tous. La tactique s’est retournée contre elle, comme un retour de manivelle. Son empire va bientôt éclater sous les coups des peuples qu’elle avait soumis.

Après la chute de l’empire romain, le monde sera en attente d’une nouvelle intervention divine, qui se manifestera avec la naissance à Médine, la Nouvelle Troie, d’un état qui va consoler également et les Berbères et les ‘’Carthaginois’’ (Phéniciens). Un état qui va déterminer les conditions de la naissance des temps modernes. Ce ne sera plus l’empire, mais une foi nouvelle qui met au même niveau tous les peuples. Du moins à ses débuts, car les premiers musulmans délaissant la sagesse prophétique, céderont vite à la tentation de l’empire. Par trahison, ou manque d’imagination, ils vont imiter la forme de gouvernement des empires qu’ils avaient détruits. En promouvant une culture d’empire, les musulmans se condamnaient définitivement à la décadence à plus ou moins long terme.

 

[1] Source textuelle : Virgile, Énéide, Chant 02 (Récit par Énée de la chute de Troie) v. 705-746

[2] Au sujet de la lecture initiatique de l’Enéide, voir : Virginie Dang, Vers une revalorisation d’Énée en France, Le Séjour d’Honneur d’Octovien de Saint-Gelais, Cahiers de recherches médiévales [En ligne],

10 | 2003, mis en ligne le 08 octobre 2007  

[3] Il est remarquable que Virgile fasse de Carthage une des étapes qui mèneront Enée de Troie en Italie.

[4] Eutrope, Abrégé de l’Histoire Romaine, Livre 7.

[5] Voir Polybe, Histoire générale, Livre 1, chapitres XVII et XVIII

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère
27 décembre 2019 5 27 /12 /décembre /2019 15:12

Les Berbères avant l’occupation romaine 

Ass-a nnighd awâl yeffern id-alli… (Ait-Menguellat d’Ighil Bwammas)

Je révèle une parole tenue secrète jusqu’à ce jour…

 

Partie 1

Pour être enseignée de manière efficace, l’histoire doit être écrite à la façon du récit mythologique. Sans cela, elle ne serait qu’une suite d’évènements abolis, inertes, sans effet durable sur le lecteur.

Dans cette étude, nous employons le terme de berbère au singulier et au pluriel pour désigner par convention le peuple qui a occupé et habite encore la région actuelle appelée Maghreb, au sens large, c’est à dire englobant la Mauritanie et le Sénégal, et certaines parties du Mali et du Niger, au sud, et de l’Egypte à l’est.

Au 6ème siècle, un poète épique romain a chanté la gloire d’un général byzantin venu infliger aux berbères leur énième défaite devant des Romains. L’auteur de l’épopée, Coryppe, dénombre plus de 300 nations parmi les peuples berbères. Autant dire qu’il ne sert à rien de chercher à trouver une race berbère et qu’il faudra se contenter de la seule réalité tangible à nos yeux : l’unité de la langue berbère, et la cohérence de son histoire.

Le terme berbère s’appliquant à la population nord africaine d’origine est relativement nouveau. Ce sont les auteurs écrivant en arabe qui l’ont propagé, en s’appuyant d’ailleurs sur les déclarations des mêmes berbères. Quand les Arabes musulmans arrivèrent en Ifriqiya, ils ne trouvèrent pas des ‘‘numides’’ ni des ‘‘carthaginois’’, mais des Berbères et des occupants Romains (Byzantins), un nom englobant toute la population présente. Ce nom s’applique par conséquent à l’ensemble des populations et semble avoir été utilisé par les autochtones qui l’ont communiqué aux Arabes comme le terme qui les désigne dans leur ensemble. Leur ancêtre commun serait un homme appelé deux fois bar. Entre eux, ils se distinguaient par leurs appartenances tribales, comme tous les anciens peuples.

La Berbérie est donc un territoire. Un territoire peuplé de berbères qui sont ici tous les peuples qui s’y sont installés au cours de l’histoire, depuis le fond stabilisé le plus ancien, – car il y en eut forcément un –, jusqu’à nos jours en passant par le premier apport étranger et le plus ancien connu, à savoir les phéniciens et peut-être les Mèdes, un peuple moyen-oriental proche des Perses.

Les principales sources anciennes sont grecques et latines, rarement phéniciennes : Homère, Hérodote, Platon, Polybe (204 à 102 avant J.- C), Salluste, Virgile, Pline l’Ancien, Strabon, Tacite, Tite-Live, Plutarque, Eutrope, Coryppe, etc.

Après la conquête arabe, l’histoire ou les éléments historiographiques sont fournis par les sources écrites en langue arabe, avec notamment celui qui en a exploré certaines, comme le grand historien berbère Ibn Khaldûn qui est le premier à faire mention des berbères dans le titre même de son ouvrage majeur, etc. Ces auteurs ne sont pas tous des historiens ou des chroniqueurs de métier.

Platon et d’autres philosophes fournissent des indications dans des digressions sur les croyances et les institutions anciennes (Comme Aristote qui décrit et juge la constitution de Carthage). Platon a évoqué l’Atlantide dans le Timée et dans le Critias. Mais leurs œuvres, poétiques parfois, évoquent des faits ou des légendes impliquant des hommes et des peuples de l’Afrique du Nord ancienne, que les auteurs grecs désignaient alors par le nom de Lybie. Elles sont aujourd’hui facilement accessibles grâce aux ressources de l’internet, avec le choix des traductions en français, anglais, allemand… Ce qui ne dispense pas bien sûr le chercheur plus motivé de consulter les textes dans les bibliothèques spécialisées.

Mythologie :

Avant d’évoquer quelques faits historiques, situons le monde berbère dans la mythologie. C’est que cette région du monde connu d’alors, avait une fonction puissante dans l’imaginaire antique notamment des Grecs. C’est la terre aux limites de laquelle l’on a situé la légendaire île de l’Atlantide dont Platon s’est fait le conteur dans le Timée et le Critias. Pour un berbérophone, la tentation est grande de l’orthographier Ath-lantide, comme le préfixe at- ou ath- indique un ethnique, et désigne une cité ou un pays par ses habitants. Les Irlandais ont une expression pour faire connaitre leur origine, et la tribu à laquelle ils appartenaient dans l’ancien temps. C’est celle de Mac, abrégé en Mc[1] qui signifie fils de. Mac Donald signifie fils de Donald, exactement, comme en berbère on emploie mmis, qui pourrait dériver du même mac, et qui signifie aussi fils. Les Arabes ont un équivalent dans les expressions banû, ou ouled, qui servent à désigner une tribu en la rattachant à son ascendant éponyme.

L’Atlantide a été engloutie par des flots marins subits et gigantesques, suite à un  tremblement de terre suivi de tsunami, par exemple. C’est une hypothèse de savants. On la situait au large des Colonnes d’Hercule. Comme on ne peut pas accuser Platon d’avoir conçu le récit de l’Atlantide, juste pour le plaisir de tromper ses lecteurs, les archéologues et les savants tentent encore de trouver un lieu où un cataclysme aurait pu causer une secousse d’une telle ampleur dans la Méditerranée. Que les Colonnes d’Hercule, appelées par Homère, Colonnes d’Atlas, soient situées dans les deux montagnes situées chacune sur l’une des rives du détroit appelé aujourd’hui Gibraltar ou qu’elles soient entre la Sicile et l’Italie, la mythologie implique bien l’Afrique du Nord, appelée Lybie par les Grecs de l’antiquité. A l’époque de Platon, la Sardaigne et la Corse étaient sous occupation carthaginoise.

La mythologie explique ainsi les choses.

Hercule réussit à vaincre le géant (lybique) Antée, ce qui confirme la légende du gigantisme à la Goliath, a-jalût ou aguellid, d’une certaine population de Berbérie. Le moine espagnol Viala qui a laissé une chronique sur les peuples des Îles Canaries (Islas Canarias), les décrit comme des hommes remarquables par leur grande taille, confirmant ce fait.

Notons à propos de détroit que Tanger vient surement du mot tang, en persan. Les berbères ont fini par imiter la prononciation arabe de certains toponymes. N’ayant pas la lettre g dur (guim), les Arabes ont ainsi fini par prononcer Béjaya, là où encore on prononce en kabyle, Vgayat. Les berbères partagent avec les égyptiens cette prononciation du jim en guim. Ils prononçaient guim tous les jims. Ils avaient raison, puisque la lettre jim, troisième de l’alphabet phénicien se prononçait comme un g dur, s’appelait gamma. Alpha, beta, gamma, delta, etc. De même les fameuses montagnes de Kabylie baptisées Gargaros par les Grecs. En s’arabisant les kabyles ont fini par prononcer Jurjura (Djurdjura). Ma grand-mère qui n’a jamais parlé arabe, prononçait bel et bien ‘’Gargar’’. Elle parlait du Ighzar u Gargar, le torrent qui descend de la montagne de Gargar. Il y a des monts appelés Gargaros, en Grèce.

Le nom persan tang signifie détroit, comme on peut facilement le constater sur une carte de la Perse, du coté du golfe persique, dans le détroit de Hormoz, qui se dit en persan tang-e Hormoz. Mais le persan possède la consonne du g dur, distincte du jim. Il ne peut  y avoir d’ambigüité.

C’est dire que Tanger servait déjà à désigner le détroit qui a reçu aussi les appellations de Colonnes d’Hercule, de Gibraltar.

Les Berbères sont aussi connus pour avoir un chef, un roi que l’on désignait par le vocable d’a-guellid, terme dont la prononciation berbère a été corrompue en Goliath selon certains ; et les arabes qui ont le son du g dur dans leur langue, ne l’ont pas spécifiquement dans leur alphabet, et le transcrivent avec un j, Jalût.

Les mots berbères sont souvent transcrits avec l’article collé au mot. Ainsi Aguellid devrait s’écrire a-guellid. Le mot guellid évoque une autre signification : celle des Celtes, que les français prononcent avec un c, alors que la prononciation des autres formes dérivées engagent plutôt un K ou un G, comme dans le cas précédent de mac irlandais devenu mmis en berbère, ou k est remplacé par le son s.

Si nous prononçons Kelt, Kelton en grec, nous apercevons immédiatement le mot guellid, avec un durcissement du k en g, et du t en d. Cela se remarque dans beaucoup de transcriptions françaises de la lettre k. Là ou le grec parle de Thrakos, les auteurs français parlent de la Thrace, avec un c. Et là où Hérodote parle des mazek, le traducteur français met mazeces. Or mazek correspond mieux à la prononciation berbère. Imazikhan serait même plus juste qu’imazighan. Les rifains transcrivant en caractères arabes le mot imazikhan, ils mettaient un khâ et pas un ghayn. Mais dans la région d’Alger où cette tribu a régné un temps, ils sont appelés imazighan (pluriel d’amazigh). Il est possible que écriture avec le son ghayn, proviennent des auteurs Arabes. Ainsi Ibn Khaldûn les appelle les Banû Mazghanna. La terminaison en a indique un pluriel spécial en arabe qui a été appliqué à presque toute la toponymie berbère, pour désigne un territoire par la tribu qui l’occupe. Dwawda, S’hawla, Ghardaya, etc…

Ce roi des berbères devait donc être d’origine Celte. A condition que le kelt en question soit bien un celte. Les berbères ont aussi gardé le radical srt qui a donné ‘‘sârût’’ qui signifie la clef. Le roi est en effet celui qui détient les clefs des mystères  car un vrai roi est d’abord un roi bien inspiré, tenant le pouvoir temporel et spirituel. Dans les deux cas, galt, kalt ou celtes, la signification de clef, donc de détenteur des clés, existe. Les racines kld (kelîd, en persan), klt en grec, ou qld en arabe (maqâlîd) dénotent le sens de clef.

Le kalt a donné la Calédonie, la Galicie, le Portugal, tous pays des Celtes, et ce fut peut-être un signe de Dieu que les kabyles révoltés contre la France, en 1870 aient été déportés en Calédonie où ils ont pris racine loin de leur mère patrie, et y vivent encore.

Il existe d’autres termes se référant à la fonction royale.

Celui qui subsiste encore dans les parlers africains périphériques du Sahara est le terme mensa ou mense, parfois transcrit mence, chez les auteurs espagnols. Massinissa dont on dit qu’il est le nom d’un célèbre roi qui unifia les Berbères et résista aux Romains, est en fait le titre de ce roi, pas son patronyme. La bonne lecture de ce nom a surement subi une fausse transcription de la part des auteurs latins, ce qui arrive fréquemment quand on transcrit le nom ou le titre d’un personnage politique ou religieux dont on ignore la langue. Ce titre de Massinissa est la mauvaise prononciation de : a-mensa imensen, qui signifie Roi des rois. En unifiant les ‘’royaumes’’ berbères qui consistaient en tribus de plus ou moins grande importance, ce roi a mérité ce titre. On retrouve ce titre en Perse, avec le fameux shâhanshâh, roi des rois, titre qui a été porté même par le dernier monarque persan, de la dynastie éphémère des Pahlavi.

En Afrique noire au sud du Sahara, ce titre a été porté au 19ème siècle par les rois du Mali, notamment par le fameux Mensa Moussa, Kankan Moussa.

 

[1] Le C, prononcé comme un k, est souvent prononcé comme un S. L’arabe possède le mot Sor, qui est traduit par le terme trompe, mais on peut reconnaître une traduction plus proche de la forme Sor, c’est le cor, qui est employé en français, et où l’on voit clairement que les deux mots Sor et Cor, ont la même étymologie. La Thrace, région de la Grèce, est appelée Trakos, en grec. Encore un exemple où le k a été remplacé par un le son de la lettre S.

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère
26 décembre 2019 4 26 /12 /décembre /2019 23:01

1-

Strabon a noté que la division politique du territoire berbère se faisait d’ouest en est, en maures, en masaessyles, et en massyles. Les territoires correspondant à ces appellations demeureront longtemps comme la référence pour la distinction des états. Même le géographe arabe Idrissi la garde, en  la traduisant par la célèbre trilogie : Maghreb extrême, Maghreb central et Maghreb proche ou Ifriqia. Nul doute que ces sont les berbères eux-mêmes qui ont du traduire aux Arabes les sens des termes utilisés pour désigner les différentes parties composant leur vaste territoire.

Ibn Khaldûn aussi fait commencer le Maghreb, par la partie algérienne[1], le territoire massyle, excluant la Tunisie qu’il appelle l’Ifriqia, même si ce terme a fini par désigner tout le continent africain. Afrik est le nom d’une des divinités berbères, selon René Basset. Tasaft n’sidi Yefrik est le nom d’un chêne centenaire qui a été abattu pour ouvrir une route dans ma ville natale d’Ait-Daoud, en Kabylie.

En ce qui concerne les masaesyles et les massyles, je n’ai pas trouvé , dans les sources existantes, d’explication à ces deux dénominations. J’ai cherché dans les quelques sources disponibles sur internet, qui sont de plus en plus savantes et pertinentes. Certains auteurs pensent qu’il devait s’agir des deux principales tribus ou confédérations de tribus berbères qui se seraient réparti le territoire. Or cela ne peut pas nous satisfaire, étant donné que l’auteur qui en parle le premier est Strabon, et qu’il les signale comme deux entités politiques administratives, comme une division du territoire, plutôt que comme deux ethnies. A ma connaissance, aucun géographe ou historien arabe ne mentionne de tribus berbères de ces deux noms, Massyle et Massaesyle.

Pline l’ancien ? laisse penser que, de son temps, l’état masaesyle avait cessé d’exister. Mais certains noms berbères, noms de personnes ou toponymes subsistent. Par exemple Messali. Prononcé avec un s emphatique, sâd en arabe, ce nom peut se prononcer Mezali, or nous avons aussi le patronyme Tamzali.

Je propose le résultat de ma recherche à l’examen de ceux qui sont des spécialistes. Et là, je le reconnais, j’ai été aidé surtout par mon intuition. ‘‘Massyles’’ m’a fait penser à M’sila. Sur la page wikipedia, on me dit que M’sila viendrait de l’arabe al-masîla, qui signifierait cours d’eau, écoulement d’eau, torrent[2]. J’ai rejeté cette hypothèse suggérée par la facilité de la construction sur le modèle arabe maf’al. Mais on peut comprendre que les occupants étrangers tentent de donner un sens à un nom en consonance avec leur langue comme l’a fait la France quand elle changea les noms de certaines de nos villes.

 

[1] Dans une note de sa traduction de L’Histoire des Berbères, de Slane précise : « Ibn Khaldûn place le commencement du Maghreb sous le méridien de Bougie, et désigne les provinces de Tunis et de Tripoli par le nom d’Ifrikiya ». Après avoir lu cette phrase, je me suis reporté à Google earth, et j’ai constaté que le méridien de Bougie est bien aussi celui de Msila. Simple observation : Massyle écrit avec un y peut aussi se lire Massoul. Or la ville de Mossoul en Irak, se trouve à 36 degrés de latitude nord !!! Il est possible que le nom soit introduit par les Mèdes. Et ce d’autant plus que les Mèdes pourraient être les ancêtres des Kurdes.

[2] En outre, le mot massîlah n’existe pas en arabe, et n’est pas attesté dans le Lisân al-Arab, d’Ibn Manzour.

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère
26 décembre 2019 4 26 /12 /décembre /2019 22:52

2-

En regardant sur la carte de google earth, je me suis aperçu que la ville de Massila se trouve bien dans la partie de la division du territoire appelée royaume Massyle (maghreb central) qui fut aussi le royaume sur lequel régna longtemps le roi berbère Massinissa en même temps que la partie dite Numidie.

Plus à l’ouest, exactement à la même latitude nord de 35 degrés, se trouve la ville de Tissemsilt (que le colonialisme français a eu le culot de baptiser Vialar) qui elle, sans doute, fait partie du territoire Masaesyle. Il se peut que le géographe Strabon ait mal transcrit le mot berbère thassamsilt en thamsalsit ou au contraire que les berbères aient prononcé plus tard tassemsilt ce qui était à l’origine thamselsit. Il est frappant en tout cas que ces deux villes se situent l’une et l’autre aux limites des deux entités massyle et masaesyle, telles qu’elles nous sont données par Strabon.

Tissemsilt signifie coucher de soleil, l’ouest, nous dit-on, dans le site internet de la ville algérienne actuelle du même nom[1]. On peut donc supposer que Tamsilt (Msila ou Massila[2]) signifierait lever de soleil, l’est[3]. On comprend alors que le nom même de Maghreb donné par les Arabes à notre région a été une traduction du berbère Tissemsilt, le couchant. En se reportant à Google maps, on verra que les deux villes de M’sila et celle de Tissemsilt, (peut-être à un moment historique tamsaysilt) se situent à la même latitude de 35 degrés nord, avec une différence de quelques minutes. Et plus, fort que cela, Msila est à la limite du royaume massyle et Tissemsilt se trouve tout près du Chelif qui marque la limite occidentale du royaume masaesyle, tel que défini par Strabon. Thamsilt et Thassemsilt sont deux postes frontières des deux royaumes, peut-être aussi deux anciennes capitales, de deux pays qui pourraient avoir eu respectivement pour noms Tha-Masylt (ou Tha-Mazight, la Grande Mazighie), et tha-Masaesylt (ou Tha-mzazghith) la Petite Mazighie). Massyle et Masaesyle signifient donc respectivement royaume de l'Est et royaume de l'Ouest. 

Il semble aussi que les grandes rivières (ou cours d’eau) ont servi naturellement, comme en de nombreuses régions du monde, de lignes de démarcations entre les états. Ainsi la  Moulouya a-t-elle marqué la frontière entre la dynastie des Banû Marrîn (Mérinides) qui régnèrent sur le Maroc et la dynastie des Banû Ziyyân (Zianides) qui régnèrent sur l’ouest algérien. De même le Chélif a servi de frontière entre l’état masaesyle et l’état massyle. Et dans l’antiquité, à chaque fois que la Moulouya est mentionnée, c’est la plupart du temps en tant que frontière, ligne de démarcation, entre les masaesyles et la Maurusie (Maroc). Nous n’avons finalement rien inventé.

Ces frontières semblent s’être gravées dans l’inconscient des berbères, car elles sont restées celles qui définissent les états actuels, sans qu’il y ait une loi écrite qui le stipule.

Le géographe al-Idrissi reprend la division administrative de Strabon. Son Maghreb extrême et son Maghreb central correspondent aux limites des états  masaesyle et massyle. Il est par conséquent évident à nos yeux que les ‘‘Arabes’’ n’ont fait que traduire à leur langue les noms que les berbères donnaient à leurs contrées respectives. Ayant vu que le nom de Couchant correspondait à la partie extrême de la Berbérie, ils en ont donné le nom à l’ensemble, en toute logique, puisque pour eux, tout est à l’ouest de la Très-Sainte Mecque. C’est ainsi que la Berbérie est devenue le Maghreb. Ils ont ensuite divisé le Maghreb lui-même, en Maghreb proche, Maghreb central et Maghreb extrême, pour conserver la division ancienne du territoire.

Les berbères avaient conscience d’être à un ‘‘bout du monde’’, ils étaient les atlantes… les fils d’Atlas, le rempart contre l’Océan.

Ce n’est pas la moindre des conséquences de l’indépendance que celle de nous avoir rendu notre toponymie.

Au fond, les frontières de l’Algérie actuelle sont les frontières léguées par l’histoire ancienne. Si l’on considère le Maroc comme l’héritier des seules  frontières de l’ancienne Maurusie (Maurétanie Tingitane), on devrait lui retrancher la partie orientale de sa frontière qui dépasse la limite naturelle de la Moulouya. Cette partie reviendrait à l’Algérie qui elle se diviserait en deux états, l’un s’arrêtant au Chélif, et l’autre du Chélif jusqu’à Annaba. Par contre, le Maroc pourrait ‘‘revendiquer’’ tout le territoire au sud jusqu’au Sénégal. Simple illustration pour expliquer la situation en ce temps-là. Juste pour dire que les frontières actuelles sont des frontières remontant à une époque bien antérieure à l’islamisation de la Berbérie du moins en ce qui concerne la partie nord du pays. L’État algérien est bien le successeur légitime de l’Etat de Massinissa.

 

[1] Désolé, mais je n’ai pas trouvé une source savante confirmant ce point.

[2] Dans les sources arabes ou plus anciennes,  en grec et en latin, le nom de la ville n’est pas précédé de l’article berbère th- ou de l’article arabe al-, comme les administrateurs actuels du pays le font par une décision irréfléchie et qui installent des panneaux à l’entrée e la ville avec la mention : al-masîla.  En fait la forme de Massila semble être d’origine phénicienne, car elle ne comporte pas d’article, comme Cirta qui désigne aussi une ville carthaginoise. Thamsilt a donc dû laisser la préséance à Massila. Ce toponyme de Massila se retrouve aussi dans quelques contrées au sud du Sahara, au Mali et Sénégal, ce qui laisse penser qu’il pourrait s’agir d’une dénomination sanhaja,  appelée aussi Zanaga, et qui est à l’origine du nom de Sénégal.

[3] Si pour Ibn Khaldûn, le Maghreb commence par le méridien de Bougie, il va de soi que Msila serait à l’est de ce Maghreb.

 

 

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Omar BENAISSA - dans Conscience berbère