L’AVENEMENT DES ARABES
Au 6ème siècle, la Berbérie s’était soulevée d’ouest en est contre Byzance, avec des chefs dont les noms sont mentionnés par Corippe (Iaudas, ??), mais elle subit un revers qui sera aggravé par une peste plus meurtrière. On eut beau invoquer le dieu Gurzil et exhiber son effigie en forme de taureau, rien n’y fit.
Lorsque les conquérants arabes arrivent à la fin du 7ème siècle, les berbères qui n’avaient pas eu le temps de se remettre des stigmates byzantines, et fidèles à leurs habitudes de se mobiliser pour défendre leur terre, résistent longtemps, le temps de distinguer les intentions des envahisseurs qui se disant soumis à Dieu, musulmans, se comportent quand même avec arrogance et mépris. Contrairement à ce que s’imaginent certains, les Arabes ne sont pas arrivés, comme des combattants de Dieu. Ils déferlaient en vagues successives subissant beaucoup de défaites, mais aussi semant la désolation dans les villes et les campagnes. Ils ont massacré des centaines de milliers de berbères, au témoignage des sources écrites en arabe. Ces dernières ne font état d’aucune tentative de propagation pacifique de la foi musulmane[1].
Il n’est question que de quête d’or et d’autres richesses, de butin de ce monde et rien de l’autre monde.
Les Berbères avaient du mal à comprendre les intentions des envahisseurs. C’est pourquoi, à ce qu’on dit, ils ont abjuré à plusieurs reprises la nouvelle religion. Au fur et à mesure qu’ils découvraient d’autres musulmans plus sincères dans leur foi, ils finissent par adhérer de tout cœur à l’islam, en sachant que ‘‘ceux qui apportaient la bonne nouvelle (les arabes) ne la comprenaient pas mieux que ceux qui la recevaient’’, en l’occurrence les Berbères.
C’est pourquoi on peut affirmer sans hésitation que le combat de Kusayla fut un combat juste, de même que celui de la Kâhena.
Il faut dire que les Berbères étaient au courant des querelles de succession dans la péninsule arabique, et des allégeances tribales qui rythmaient le pouvoir politique.
En particulier, après la mort, à Médine, du deuxième calife, les berbères sont restés dans l’expectative ne voyant plus venir les incursions arabes. Ils se demandaient ce qui pouvait se passer dans la lointaine Médine. Omar ibn al-Khattâb avait en effet pris la décision de suspendre net la conquête de la Berbérie, pas par pitié pour les berbères, mais parce qu’il s’était rendu compte que les conquêtes avaient dévoyé les mentalités des jeunes soldats, qui étaient attirés plus par l’appât du gain que par le mérite du Paradis. Omar a donc eu raison de qualifier ‘‘l’Ifrikiya, de diviseuse, mufarriqa’’.
Uthmân qui avait prêté serment de suivre l’exemple des deux premiers califes, va quand même prendre comme première mesure, celle d’ordonner la reprise des incursions en Afrique du Nord. Il est vrai que ‘Omar avait stoppé la conquête, en gardant l’Egypte où il avait nommé Amr ibn al-‘Ass, comme gouverneur, et qu’il s’était promis de maintenir cette suspension jusqu’à son dernier souffle.
Uthmân aurait été mieux inspiré s’il avait patienté quelques années, et se contenter d’envoyer des prédicateurs non armés. Mais, comme les politiciens modernes, il avait une urgence. Il ne tenait pas compte du calendrier des autres mais seulement du sien. Il voyait le monde comme son ennemi, alors que s’il voulait convertir, et rien que convertir, il aurait eu une attitude plus humble, plus patiente, plus disposée envers les futurs musulmans.
Le pouvoir médinois subissait trop de pression de la part des jeunes gens en âge de combattre qui s’impatientaient d’aller à la conquête dans le but de ramener du butin. Il fallait déplacer un problème interne dans l’espoir qu’une solution lui sera trouvée plus tard. Uthman exporte ses problèmes aux provinces nouvelles de l’Ifriqiya et de l’Irak.
Il avait hâte d’éloigner de Médine les turbulents jeunes loups qui avaient pris goût au gain facile, aux butins immenses, et qui trépignaient d’impatience de retourner à la conquête des riches territoires byzantins. Or Uthmân ne demandait pas mieux que de disposer pleinement de ses pouvoirs à Médine sans être perturbé par des agitateurs, qui se livreraient à des actes répréhensibles dont ‘Umar avait eu le temps et le génie de mesurer la gravité. Après 10 ans de règne, il avait réalisé et perçu les conséquences de cet enrichissement soudain d’un peuple habitué à vivre dans la modestie. Il s’était promis d’apporter les changements nécessaires. ‘‘Si je vivais jusqu’à à l’année prochaine…’’ Le destin ne lui permit pas de mener à bien cet espoir…
La solution ‘Uthmanienne fonctionne bien dans un premier temps, mais après des années, cette mesure a eu pour corollaire de renforcer le pouvoir des provinces de l’Egypte (dont dépendait l’Afrique du Nord) et celle de l’Irak. Médine demandait de plus en plus de contribution, et ‘Uthman qui n’hésitait pas à pratiquer le népotisme va mécontenter beaucoup de gens dont ses propres agents et représentants. Ce sera la cause de son impopularité croissante. Ce sera aussi le début de ses ennuis qui lui vaudront la perte de sa vie, sans personne pour lui venir en aide face à la vindicte des révoltés.
Les Arabes ont contaminé les Berbères avec leurs querelles intestines, chaque faction estimant avoir la légitimité pour le pouvoir. S’ils savaient parfaitement en quoi portaient les arguments des uns et des autres dans la grande fitna, les berbères vont mettre du temps avant de réaliser que la religion nouvelle qu’on prétendait leur apporte était déjà trahie par ses propres enfants. On avait désobéi au calife, et on avait l’impudence de défier le calife élu de Médine.
Après l’assassinat de ‘Uthmân et la discorde (fitna) qui s’en est suivie, les Arabes cessèrent de se manifester, car à Médine le pouvoir ne peut plus commander quoique ce soit. Les musulmans sont déchirés par une guerre fratricide. Les ‘‘conquêtes’’ marquent une pause. Pendant ce temps, les Berbères ne savaient pas à quoi s’en tenir. Les Arabes auraient-ils renoncé ? Pourquoi ne reviennent-ils plus nous piller ? Ont-ils eu des remords ? En réalité, les rangs des ‘’musulmans de la première heure’’ étaient déchirés, et se faisaient la guerre entre eux et n’avaient pas le temps de revenir à la charge contre les Berbères.
Lorsque le rebelle Muawiya a pris définitivement le pouvoir, les troupes arabes sont retournées à leurs habitudes de rapine avec plus de hargne. Ils vont se rattraper, parce que le chef qui règne à Damas, a besoin de beaucoup d’argent.
Lorsque Oqba ibn Nâfi, envoyé par Yazid ibn Muawiya, arrive en Afrique du Nord, est en mission pour écraser les berbères et les piller. Les textes que nous proposent les chroniques écrites en langue arabe, ne font cas d’aucune information relative à l’islamisation. Mais ne parlent que de trésors emportés en Egypte et de là en Syrie. On sait comment Moussa ibn Nosayr, gouverneur de l’Afrique du nord, a fini par être exécuté, avec sa famille, par un omeyyade fou d’apprendre qu’il s’était servi sa part sur les trésors ramenés de l’Andalousie par Târiq ibn Ziyâd. C’était vraiment la ruée vers l’or. Et personne ne parlait d’islam.
On dit que les berbères ont abjuré la foi musulmane à 12 reprises. Il en est qui voudraient les faire passer pour des athées et des impies réfractaires, des païens insoumis. Il n’en est rien. Il faut comprendre que lorsque ceux qui sont censés venir enseigner la nouvelle foi, ne la possèdent pas eux-mêmes, on a du mal à comprendre ce qu’il faut faire. Les conquérants arabes ne se distinguaient pas des anciens conquérants romains ou vandales ou d’autres ennemis ; ils ne viennent que pour piller.
Mais les Berbères se sont informés par les voyageurs venus d’Orient. Ils ont réalisé qu’ils avaient eux aussi le droit de choisir la forme d’islam qui leur offrait le plus, et qui leur était la plus avantageuse. Ils avaient compris que les musulmans s’étaient divisés en kharidjites et en chiites, opposés au pouvoir omeyyade.
Ils se feront kharidjites pour se débarrasser des Omeyyades, puis chiites fatimides pour éliminer la dynastie arabe des banu Aghlab qui s’installaient en vainqueurs, prenant leurs aises, se livrant à la débauche et à la boisson.
Ils sont décidés à prendre en main leur destiné. Quand enfin, ils purent susciter des pouvoirs et des dynasties berbères, ils se mirent à imiter les Arabes.
Omar BENAISSA
[1] L’auteur de ces lignes qui est un musulman, pense que ce n’est pas servir l’islam que de propager des informations fausses et trompeuses, contraires à la vérité historique, même au sujet des premiers musulmans. Il ne s’engage que pour ce qui relève de la prédication prophétique, et rappelle que c’est presque la coutume que tous les prophètes de Dieu ont été trahis de leur vivant ou après leur mort, par leurs peuples. La seule exception est celle du prophète Yûnus, Jonas,